Numéro spécial #2 —avril 2013 |
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Women’s Initiatives for Gender Justice est une organisation internationale de défense des droits des femmes militant pour la justice pour les femmes, comprenant l’inclusion des crimes basés sur le genre, dans les enquêtes et les poursuites judiciaires de la Cour pénale internationale (CPI) et dans les mécanismes nationaux, y compris les négociations de paix et les processus de justice. Nous travaillons avec les femmes plus touchées par les situations de conflit qui font l’objet d’une enquête de la CPI. Women’s Initiatives for Gender Justice a des programmes en Ouganda, en RDC, au Soudan, en République centrafricaine, au Kenya, en Libye et au Kirghizistan. Bureaux |
Chères amies, chers amis,Bienvenue à ce numéro spécial de Panorama légal de la CPI, le bulletin juridique régulier de Women's Initiatives for Gender Justice. Dans Panorama légal de la CPI, vous trouverez des résumés et des analyses de genre portant sur les dernières décisions judiciaires et autres développements légaux au sein de la Cour pénale internationale (CPI). Vous pourrez également consulter des discussions sur des questions juridiques découlant de la participation des victimes devant la CPI, notamment lorsque ces questions se rapportent à des accusations de crimes basés sur le genre, et ce, pour chacune des situations faisant l’objet d’une enquête de la CPI. La Cour enquête actuellement sur des situations se déroulant dans huit pays, soit en Ouganda, en République démocratique du Congo (RDC), au Darfour (Soudan), en République centrafricaine (RCA), au Kenya, en Libye, en Côte d'Ivoire et au Mali. En plus de Panorama légal de la CPI, nous produisons également Voix des Femmes, une lettre d’information régulière fournissant des mises à jour et des analyses sur les derniers développements politiques, la poursuite de la justice et la responsabilité pénale, la participation des femmes aux pourparlers de paix et aux efforts de réconciliation, du point de vue de militants pour les droits des femmes qui se trouvent dans des situations de conflits armés, notamment ceux faisant l’objet d’enquêtes de la CPI. Pour de plus amples renseignements sur le travail de Women’s Initiatives for Gender Justice ou pour consulter des versions antérieures de Voix des femmes et de Panorama légal de la CPI, veuillez visiter notre site web www.iccwomen.org. Ce numéro spécial est le deuxième d’une série de publications portant sur le deuxième jugement de la Cour, rendu par la Chambre de première instance II le 18 décembre 2012, dans le cadre de l’affaire contre Mathieu Ngudjolo Chui. Dans ce deuxième numéro spécial, nous analyserons les procédures relatives à sa libération, à la suite de son acquittement, ainsi que l’opinion individuelle et concordante de la juge Christine Van den Wyngaert sur l’article 25(3)(e). Dans le premier numéro spécial, nous avons examiné le jugement de la Chambre acquittant Ngudjolo de tous les chefs d’accusation portés contre lui par l’Accusation, en mettant l’accent sur les conclusions de la Chambre en ce qui concerne l’enquête menée par l’Accusation, la crédibilité des témoins et la responsabilité présumée de Ngudjolo. RDC :: La libération immédiate de Ngudjolo et les demandes de mesures de protection et d’asileLe 18 décembre 2012, lors du deuxième jugement de la CPI, la Chambre de première instance II[1] a acquitté Mathieu Ngudjolo Chui (Ngudjolo) de toutes les accusations portées contre lui par l’Accusation, dans le cadre de l’affaire Le Procureur c. Mathieu Ngudjolo Chui.[2] Ngudjolo a été jugé conjointement avec Germain Katanga (Katanga), constituant le deuxième procès de la Cour, ainsi que la deuxième affaire, après l’affaire Lubanga, à provenir de la situation en RDC. Il s’agissait du premier procès au cours duquel des accusations étaient portées pour des crimes de violence sexuelle.[3] L’affaire était centrée sur une attaque menée le 24 février 2003 contre le village de Bogoro, dans la région de l’Ituri, par le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) et la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI). Katanga et Ngudjolo étaient respectivement les commandants présumés de la FRPI et du FNI. Le 21 novembre 2012, la Chambre de première instance II a ordonné la disjonction des affaires contre Ngudjolo et Katanga.[4] En vertu de l’article 25(3)(a) du Statut de Rome, les sept chefs d’accusation de crimes de guerre suivants ont été portés contre Ngudjolo : viol, réduction en esclavage sexuel, homicide intentionnel, attaque contre une population civile, utilisation d'enfants de moins de 15 ans pour les faire participer activement à des hostilités, destruction de biens, et pillage.[5] Les trois chefs d’accusation de crimes contre l’humanité suivants ont aussi été portés contre lui : viol, réduction en esclavage sexuel et meurtre.[6] Même si la Chambre a attesté que les événements allégués, y compris les crimes, avaient eu lieu,[7] elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir au-delà de tout doute raisonnable que Ngudjolo était le commandant en chef des combattants lendu de Bedu-Ezekere au moment de l’attaque contre Bogoro.[8] De façon similaire, même si elle a jugé que l’utilisation d'enfants était un phénomène généralisé en Ituri, et que des enfants soldats de Bedu-Ezekere avaient notamment participé à l'attaque contre Bogoro, la Chambre a conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour établir au-delà de tout doute raisonnable l'existence d'un lien entre Ngudjolo et ce crime.[9] Pour une analyse plus détaillée de la décision de la Chambre d’acquitter Ngudjolo, veuillez consulter le premier numéro spécial de Panorama légal de la CPI. À la fin de son jugement, la Chambre a ordonné au Greffe de prendre les mesures nécessaires pour que Ngudjolo soit libéré immédiatement et elle a aussi demandé à l’Unité d'aide aux victimes et aux témoins de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des témoins. Sa libération a toutefois été retardée en raison de nombreux obstacles de procédure, qui seront décrits ci-dessous, et il demeure actuellement dans un centre de détention pour réfugiés à l’aéroport de Schiphol aux Pays-Bas, dans l’attente d’une décision relative à sa demande d’asile et à sa requête de mise en liberté afin de participer aux procédures de l’appel interjeté par l’Accusation contre son acquittement. Le 18 décembre 2012, lors d’une audience tenue la même journée où le jugement a été rendu, l’Accusation a demandé oralement à la Chambre de maintenir Ngudjolo en détention conformément à l’article 81(3)(c)(i) du Statut.[10] L’Accusation a proposé, comme autre solution, que la Chambre suspende la libération immédiate de l’accusé compte tenu de sa future demande d’interjeter appel du jugement. L’Accusation a fait allusion à un risque de fuite, fondé sur une décision rendue par la Chambre en 2009,[11] et elle a fait référence aux risques potentiels encourus par les témoins.[12] Dans leurs observations relatives au maintien en détention de Ngudjolo, les représentants légaux des victimes ont réaffirmé qu’il y avait un risque de fuite en raison de l’éventuelle demande de l’Accusation d’interjeter appel, et que sa mise en liberté représentait un risque pour les victimes et les témoins comparaissant actuellement dans le cadre de l’affaire Katanga, constituant selon eux des circonstances exceptionnelles à évaluer dans le cadre de l'article 81(3)(c)(i).[13] Me Luvengika, un représentant légal des victimes, a spécifiquement demandé, advenant la libération de Ngudjolo, à ce que la Chambre applique une des conditions de mise en liberté prévue par la règle 119 du Règlement de procédure et de preuve, sans préciser de condition particulière.[14] L’Accusation et les représentants légaux ont tous deux affirmé que l’acquittement de diminuait pas la gravité des crimes et que ceux-ci seraient réexaminés lors de la procédure d’appel. Au cours d’une troisième audience, le même jour, la Chambre de première instance a rendu une décision orale estimant qu’il n’existait pas de circonstances exceptionnelles pour justifier le maintien en détention de Ngudjolo en vertu de l’article 81(3)(c)(i). La Chambre a souligné que les observations de l’Accusation mettaient l’accent sur des questions de fond qui seraient examinées au cours de l’appel, notamment la crédibilité et la valeur probante des dépositions des témoins,[15] plutôt que sur l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant le maintien de la détention de Ngudjolo, et elle a affirmé que « le Bureau du Procureur n'a pas été en mesure de justifier de l'existence de telles circonstances ».[16] La Chambre a précisé qu’à cet égard, la demande de l’Accusation pouvait seulement être examinée comme une demande de maintien en détention et qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur la requête d'effet suspensif demandée par l’Accusation. La Chambre a aussi affirmé qu’elle ne disposait pas de base juridique lui permettant de suspendre la libération de Ngudjolo. La Chambre a conclu qu’en « l'absence de toute demande précise » dans la requête des représentants légaux des victimes « sur les conditions qui pourraient éventuellement assortir l'élargissement de Ngudjolo » conformément à la règle 119, elle n’était pas en mesure de se prononcer sur cette question.[17] La journée suivante, le 19 décembre, l’Accusation a interjeté appel de la décision orale de libérer Ngudjulo rendue par la Chambre de première instance, demandant également à la Chambre d’appel de suspendre l’application du jugement.[18] Elle a de nouveau soutenu que la mise en liberté de Ngudjulo devrait être suspendue promptement, dans l’attente des résultats de la procédure d’appel, répétant essentiellement les mêmes arguments qu’elle avait présentés à la Chambre de première instance sur cette question, soit : le risque de fuite, les risques potentiels encourus par les témoins et que sa libération rendrait la demande d’interjeter appel de l’Accusation vaine. Le 20 décembre, la Chambre d’appel a rejeté la demande d'effet suspensif de l’Accusation. Elle a affirmé qu’en vertu de l’article 82(3), accorder un effet suspensif était une question relevant de son pouvoir discrétionnaire qui devait être déterminé en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire.[19] Elle a soutenu que l’article 81(3)(c) prévoyait la mise en liberté immédiate de la personne acquittée et qu’il fallait donc des raisons très sérieuses pour maintenir l’accusé en détention. Or, la Chambre a estimé que [Traduction] « le Procureur n’a pas présenté de telles raisons ».[20] L’Accusation a ensuite retiré sa décision d’interjeter appel de la décision de la Chambre de première instance de libérer Ngudjolo.[21] Le 21 décembre 2012, Ngudjolo a été libéré du centre de détention de la Cour et remis à la police néerlandaise qui l’a transféré à l’aéroport de Schiphol dans le but de le déporter vers la RDC.[22] Dans le but d’éviter sa déportation, Ngudjolo a présenté une demande d’asile basée sur sa propre déposition en tant que témoin dans le cadre de sa propre affaire.[23] Il a ensuite été placé dans le centre de détention pour réfugiés à l’aéroport, où il se trouve toujours en ce moment.[24] La même journée, la Défense a soumis une requête à la Chambre d’appel, demandant l’application de mesures de protection conformément à l’article 68 pour permettre à Ngudjolo d’être relocalisé dans un pays en zone Schengen, plus précisément en Belgique, afin de demander l’asile politique.[25] La Défense a soutenu qu’à titre de témoin dans le cadre de sa propre affaire, la protection des témoins prévue par l’article 68 devrait s’appliquer à Ngudjolo, tout comme elle s’était appliquée à deux témoins de la Défense qui avaient éventuellement demandé l’asile aux Pays-Bas.[26] En particulier, la Défense a affirmé que le témoignage de Ngudjolo devant la Cour impliquait les autorités congolaises dans l’attaque contre Bogoro, donnant lieu à de sérieuses raisons de craindre qu’il ne soit victime de persécution politique.[27] Pour appuyer ses arguments, la Défense a précisé que la RDC avait cessé de verser à Ngudjolo son salaire militaire à partir d’octobre 2012. Elle a donc demandé à la Chambre de suspendre toutes les mesures de rapatriement vers la RDC. Le 24 décembre 2012, la Chambre d’appel s’est confidentiellement prononcée sur la demande de relocalisation formulée par la Défense.[28] Le même jour, le Greffe a déposé un rapport confidentiel sur l’évolution relative à la libération et à la demande d’asile de Mathieu Ngudjolo Chui avec trois annexes confidentielles et ex parte.[29] Plus d’un mois plus tard, le 30 janvier 2013, la Défense a soumis un addendum à sa requête à la Chambre d’appel.[30] Elle a soutenu que le Greffe et l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins ne remplissaient pas leur obligation d’assurer la protection de Ngudjolo à titre de témoin tel qu’ordonné dans le jugement, ou leurs obligations relatives à la règle 185 du Règlement de procédure et de preuve.[31] La Défense a affirmé qu’il n’y avait pas de fondement juridique pour sa détention par l’État hôte, sa présence aux Pays-Bas n’étant pas illégale, et qu’il devrait être mis en liberté afin de participer aux procédures d’appel et pour poursuivre sa demande d’asile. Elle a notamment demandé à la Chambre d’appel d’ordonner au Greffe de fournir un document à l’État hôte affirmant que la présence de Ngudjolo aux Pays-Bas était nécessaire aux fins de la procédure d’appel.[32] La Défense a aussi demandé que Ngudjolo soit renvoyé à la Cour afin de déterminer à quel endroit il devrait être relocalisé, dans l’attente de la procédure d’appel et de sa demande d’asile.[33] En réponse à l’ordonnance de la Chambre d’appel,[34] le Greffe a rappelé qu’il n’avait reçu aucune indication de la Chambre d’appel concernant la nécessité de la présence de Ngudjolo lors de la tenue des procédures d’appel ou l’avisant si ces dernières se limiteraient à la soumission d’écritures. Il a toutefois exprimé sa volonté de faire tout en son pouvoir pour faciliter sa présence si elle était requise.[35] Il a aussi confirmé que la légalité de la présence de Ngudjolo dans l’État hôte, et par conséquent sa détention par les autorités néerlandaises, ne relevait pas de la compétence de la Cour. Le Greffe a ajouté que l’État hôte l’avait avisé que l’interdiction de voyager imposée par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne serait pas levée avant qu’un État ait accepté de recevoir Ngudjolo dans son territoire.[36] En ce qui concerne la requête de protection de la Défense, le Greffe a noté que l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins avait procédé à une évaluation et conclu qu’elle était sans objet.[37] Le 20 mars 2013, la Chambre d’appel a autorisé la requête de la Défense de répondre aux rapports et aux observations du Greffe,[38] et elle a ordonné que cette réponse soit déposée confidentiellement.[39] Le 8 février 2013, la même journée où la Défense a déposé un deuxième addendum à sa requête,[40] les représentants légaux des victimes ont soumis une demande conjointe à la Chambre d’appel pour avoir accès aux annexes confidentielles et ex parte déposées par la Défense.[41] Dans la requête, ils ont mentionné l’intérêt continu des victimes concernant la procédure d’appel, notamment au sujet de la libération et de la relocalisation de Ngudjolo.[42] Le 6 mars, la Chambre d’appel a ultérieurement ordonné au Greffe de reclassifier les requêtes et de contacter l’État hôte afin d’obtenir la permission de reclassifier les documents déposés.[43] Les Pays-Bas n’ont pas émis d’objections à la reclassification publique des trois annexes présentées au Greffe.[44] Le 27 mars 2013, la Défense a présenté une autre requête urgente à la Chambre d’appel, mentionnant que les conditions de sa détention à l’aéroport de Schiphol empêchaient Ngudjolo d’exercer son droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.[45] La Défense a souligné son incapacité à communiquer librement et confidentiellement avec son client, que Ngudjolo n’avait pas accès à son dossier, ainsi que des problèmes de santé et l’impact négatif d’avoir à partager sa cellule avec un autre ressortissant de la RDC sur le plan psychologique. Elle a demandé des instructions et une prolongation de délai afin de répondre au document de l’Accusation demandant l’autorisation d’interjeter appel du jugement.[46] Les procédures d’appel étaient toujours en cours au moment de cette publication. RDC :: L’opinion concordante de la juge Van den Wyngaert avec le jugement NgudjoloDans son jugement définitif, la Chambre de première instance II a fondé sa décision d’acquitter Ngudjolo sur des constatations factuelles relatives à son rôle et à ses fonctions au sein de la milice lendu de Bedu-Ezekere et elle a refusé d’effectuer une analyse juridique de la responsabilité pénale de Ngudjolo. La Chambre de première instance a conclu que l’Accusation n’avait pas démontré hors de tout doute raisonnable que Ngudjolo avait commis les crimes allégués conformément à l’article 25(3)(a)[47] en ce qui a trait à son rôle au sein de la milice de Bedu-Ezekere.[48] En outre, elle a déclaré que : « l'examen des éléments de preuve, ne permet en aucun cas de retenir ni même d'envisager la forme de commission indirecte adoptée par la Chambre préliminaire et ce, quelle que soit l'interprétation que l'on donne à l'article 25-3-a du Statut ».[49] Par conséquent, la Chambre n’a pas jugé nécessaire d’analyser les éléments objectifs de la coaction retenus par la Chambre préliminaire, soit : le « plan commun » et « la contribution essentielle » de Ngudjolo à la réalisation des éléments objectifs des crimes ».[50] Même si la Chambre n’a pas examiné cette question en détail, la juge Van den Wyngaert a émis une opinion concordante, abordant l’interprétation de l’article 25(3)(a) de la Chambre préliminaire I dans sa décision de confirmer les charges contre Ngudjolo en se fondant sur la coaction indirecte.[51] L’opinion concordante de la juge Van den Wyngaert traitant du mode de responsabilité adopté par la Chambre préliminaire I dans la décision relative à la confirmation des charges rappelle l’opinion concordante émise par le juge Fulford dans le cadre du jugement de l’affaire Lubanga, qui questionnait également l’interprétation de l’article 25(3)(a) par la Chambre préliminaire I. Dans ses décisions relatives à la confirmation des charges dans les affaires contre Lubanga ainsi que contre Katanga et Ngudjolo, la Chambre préliminaire I a appliqué la théorie du « contrôle exercé sur le crime » dans son interprétation de l’article 25(3)(a), estimant qu’il s’agissait du meilleur moyen de distinguer entre les auteurs principaux et les complices et de veiller à ce que les auteurs principaux qui n’avaient pas physiquement exécuté de crimes soient tenus responsables.[52] La Chambre préliminaire a défini la théorie du « contrôle exercé sur le crime » dans les décisions de confirmation des charges contre Lubanga ainsi que contre Katanga et Ngudjolo de la manière suivante : [L]es auteurs principaux d’un crime ne se trouvent pas uniquement parmi ceux qui exécutent physiquement les éléments objectifs de l’infraction, mais également parmi ceux qui, en dépit de la distance qui les sépare du lieu du crime, contrôlent ou dirigent la commission de ce dernier parce qu’ils décident si l’infraction sera commise et comment.[53] La Chambre préliminaire a ajouté qu’au sens de l’article 25(3)(a), un auteur principal est « celui qui : (i) exécute physiquement tous les éléments de l’infraction (il commet le crime individuellement) ; (ii) exerce, conjointement avec d’autres, un contrôle sur l’infraction en raison des tâches essentielles qui lui sont assignées (il commet le crime conjointement avec d’autres) ; ou (iii) exerce un contrôle sur la volonté des personnes qui exécutent les éléments objectifs de l’infraction (il commet le crime par l’intermédiaire d’une autre personne). »[54] La Chambre préliminaire I a expliqué que l’application de la théorie du « contrôle exercé sur le crime » à la coaction signifiait « que deux personnes, ou plus, se partagent des tâches essentielles, en agissant de concert, aux fins de commettre ce crime. […] [L]es tâches essentielles peuvent être accomplies par les coauteurs physiquement ou par l’intermédiaire d’une autre personne ».[55] Elle a donc requis que l’Accusation prouve deux éléments objectifs afin de déterminer la coaction : l’existence d’un plan commun et une contribution essentielle coordonnée à celui-ci.[56] Le juge Fulford (Chambre de première instance I) et la juge Van den Wyngaert (Chambre de première instance II) se sont tous deux écartés de l’approche du « contrôle exercé sur le crime » adoptée par la Chambre préliminaire, ainsi que du critère exigeant que l’Accusation prouve deux éléments objectifs de coaction : le plan commun et la contribution essentielle de l’accusé.[57] L’opinion individuelle et concordante du juge Fulford dans le cadre du jugement LubangaPréférant une interprétation au sens courant de l’article 25(3)(a), dans une opinion individuelle mais concordante avec le jugement rendu dans l’affaire Lubanga, le juge Fulford a déclaré que les deux raisons avancées par la Chambre préliminaire pour adopter le principe du « contrôle exercé sur le crime » n’étaient pas nécessaires et imposaient un fardeau inéquitable à l’Accusation.[58] Faisant remarquer que la Chambre préliminaire avait estimé que cette approche était nécessaire pour établir une distinction entre les auteurs principaux et les complices, ainsi que pour s’assurer que la responsabilité des auteurs principaux s’étendrait « aux personnes qui, quoiqu’absentes du lieu du crime, exerçaient un contrôle sur la commission de celui-ci »,[59] le juge Fulford a rejeté le concept de la « hiérarchie fondée sur le degré de gravité » qui fait une distinction entre les auteurs principaux et les complices. Il a souligné que l’approche du « contrôle exercé sur le crime » était dérivée du système juridique intérieur allemand où les peines étaient déterminées en fonction du mode de responsabilité, mais que de telles considérations ne s’appliquaient pas au cadre statutaire de la Cour.[60] Il a aussi affirmé que l’approche du « contrôle exercé sur le crime » pour déterminer la responsabilité des auteurs principaux n’était pas nécessaire en se basant sur son interprétation de la disposition selon laquelle les personnes qui participent indirectement à la commission du crime, « même s’ils ne sont pas sur les lieux », pouvaient être « poursuivies en tant que coauteurs, sans qu’il soit fait recours à ce principe ».[61] En ce qui concerne les conditions objectives de la coaction, le juge Fulford a conclu que le Statut « requiert simplement qu’il y ait un lien déterminant entre la contribution de l’intéressé et la commission du crime », et non pas la preuve que la participation de l’accusé était essentielle.[62] De plus, il a affirmé qu’au lieu d’exiger l’établissement d’un « plan commun », la coaction pouvait être déterminée en montrant une : « coordination entre ceux qui commettent l’infraction, coordination qui peut prendre la forme d’un accord, d’un plan commun ou d’une entente conjointe, explicite ou implicite, visant à commettre un crime ou entreprendre une action qui aboutira, dans le cours normal des événements, à la commission du crime ».[63] Cependant, le juge Fulford a reconnu qu’afin de préserver les droits de l’accusé, la Chambre de première instance ne pouvait pas modifier un critère par un critère moins strict de « contribution », par opposition à un critère de « contribution essentielle », à ce stade des procédures et sans notification préalable. Par conséquent, il a consenti avec la majorité sur cette question. Pour une analyse plus détaillée de l’opinion individuelle et concordante du juge Fulford, veuillez consulter le deuxième numéro spécial sur le jugement Lubanga et la publication Gender Report Card 2012 (en anglais). L’opinion concordante de la juge Van den Wyngaert dans le cadre du jugement NgudjoloTout comme l’opinion concordante du juge Fulford relative au jugement rendu dans l’affaire Lubanga, la juge Van den Wyngaert s’est écartée de la théorie du « contrôle exercé sur le crime », telle que dérivée du droit allemand et utilisée par la Chambre préliminaire I dans son interprétation de l’article 25(3)(a). Elle a estimé qu’il était inapproprié d’importer directement des principes juridiques nationaux dans le cadre statutaire de la CPI et elle a partagé la préférence du juge Fulford pour une interprétation respectant le sens ordinaire du Statut.[64] De plus, elle a souligné l’importance d’avoir une interprétation stricte de la définition des crimes, tel que requis par l’article 22(2),[65] qui selon elle s’applique aussi à la portée de certaines formes de responsabilité pénale.[66] Elle a déclaré « qu’on ne saurait avoir recours aux règles d’interprétation des traités pour combler ce que d’aucuns perçoivent comme des lacunes dans l’arsenal des formes de responsabilité pénale disponibles ».[67] De façon similaire au juge Fulford, la juge Van den Wyngaert a exprimé son désaccord avec la théorie du « contrôle exercé sur le crime », soit une hiérarchie implicite selon laquelle les auteurs principaux sont plus blâmables que les complices. Elle a affirmé qu’à l’instar du juge Fulford : « je ne vois pas sur quelle base on pourrait conclure que les actes relevant de l’article 25-3-b du Statut sont moins graves que ceux visés à l’article 25-3-a ».[68] La juge Van den Wyngaert a aussi noté que, comme elle l’avait fait lors de l’affaire Lubanga, la Chambre préliminaire I avait en grande partie fondé son interprétation de la « commission par l’intermédiaire d’une autre personne » dans l’affaire contre Katanga et Ngudjolo sur le droit allemand pour conclure que l’approche du « contrôle exercé sur le crime » reposait sur la « notion de contrôle de l’auteur principal sur l’organisation ».[69] Par contre, en estimant que l’article 25(3)(a) ne prévoyait que la commission « par l’intermédiaire d’une autre personne », la juge Van den Wyngaert a soutenu qu’il n’était pas judicieux d’élever le concept de contrôle exercé sur une organisation « au rang d’élément constitutif de la responsabilité pénale au sens de l’article 25-3-a ».[70] D’abord, elle a considéré que de substituer « organisation » par « personne » contrevenait à la règle de l’interprétation stricte.[71] Deuxièmement, elle a estimé qu’« en déshumanisant la relation entre auteur indirect et auteur physique, le concept de contrôle exercé sur une organisation abaiss[ait] le degré d’influence personnelle que l’auteur indirect est tenu d’exercer sur la personne par l’intermédiaire de laquelle il commet un crime ».[72] Selon la juge Van den Wyngaert, le degré d’influence du premier sur le dernier devrait être caractérisé par l’« assujettissement, cette domination de la volonté individuelle de l’auteur physique ».[73] Tout comme le juge Fulford, la juge Van den Wyngaert a exprimé son désaccord avec les éléments objectifs de la coaction, soit l’existence d’un plan commun et la contribution essentielle de l’accusé à celui-ci. La juge Van den Wyngaert a fait remarquer que le plan commun constituait un élément objectif « central » de l’interprétation faite par la Chambre préliminaire de la « commission conjointe » et elle a noté que le terme « plan commun » n’apparaissait pas dans le Statut ou dans les travaux préparatoires.[74] Elle a jugé que le critère du plan commun était trop rigide, car il ne tenait pas compte des cas où « deux ou plusieurs personnes auront spontanément commis un crime ensemble de façon ad hoc ».[75] Elle a expliqué qu’en faisant du plan commun un élément objectif, l’accent ne porterait plus sur « la question de savoir en quoi le comportement de l’accusé [était] lié à la commission du crime mais sur le rôle qu’il [avait] joué dans l’exécution du plan commun ».[76] La juge Van den Wyngaert a aussi noté que le critère de la « contribution essentielle » était basé sur la notion que l’auteur devrait contrôler la commission du crime, et qu’elle découlait ainsi de la théorie du « contrôle exercé sur le crime ». La juge Van den Wyngaert a exprimé son accord avec le juge Fulford en estimant que le critère de la contribution essentielle n’était pas étayé par le Statut.[77] Elle a conclu que cela obligeait « les chambres à se livrer à des conjectures artificieuses pour savoir si le crime aurait malgré tout été commis dans l’hypothèse où l’un des accusés n’aurait pas apporté exactement la contribution qu’il a apportée ».[78] Toutefois, alors que le juge Fulford avait suggéré que le niveau de contribution requis « devrait être le lien de causalité entre la contribution individuelle et le crime », la juge Van den Wyngaert a estimé que la causalité était une notion trop « élastique ».[79] Elle a plutôt suggéré que pour qu’il y ait commission conjointe, il devait y avoir « une contribution directe à la réalisation des éléments matériels du crime » qui devrait être déterminée au cas par cas.[80] Comme nous l’avons mentionné précédemment, à l’exception des crimes relatifs à l’utilisation d’enfants soldats, la Chambre préliminaire a confirmé tous les chefs d’accusation portés contre Ngudjolo sur une base de « coaction indirecte ». La juge Van den Wyngaert a fait remarquer qu’en procédant ainsi, la Chambre préliminaire avait conjugué « commission conjointe » et « commission par l’intermédiaire d’une autre personne » pour introduire le concept de « coaction indirecte », et qu’elle avait jugé qu’en droit, rien ne l’empêchait de le faire.[81] La juge Van den Wyngaert a ainsi identifié la « coaction indirecte » en tant que quatrième possibilité s’ajoutant aux trois autres prévues par l’article 25(3)(a), soit la commission, la commission conjointe et la commission par l’intermédiaire d’une autre personne. Elle a estimé que le raisonnement derrière cette interprétation du Statut n’était « pas convaincant », car il menait à une « extension radicale de l’article 25-3-a du Statut, et à un mode de responsabilité entièrement nouveau ».[82] La juge Van den Wyngaert a décrit ce mode de responsabilité comme étant la création d’un « nouvel axe, diagonal » s’ajoutant à l’axe horizontal de la « commission conjointe » et à l’axe vertical de la « commission par l’intermédiaire d’une autre personne ».[83] Elle a ainsi conclu que selon l’interprétation de la Chambre préliminaire I, il était possible de confirmer des chefs d’accusation en se fondant sur ce nouveau mode de responsabilité, la « coaction indirecte », sans pouvoir confirmer la commission conjointe ou la commission indirecte, qui sont toutes deux expressément mentionnées dans le Statut. Elle a déclaré qu’« il suffit de prendre les faits (désormais largement discrédités) confirmés par la Chambre préliminaire en l’espèce pour en trouver un exemple ».[84] ■ Lire le Jugement de première instance acquittant Ngudjolo ■ Lire l’opinion individuelle et concordante de la juge Van Den Wyngaert ■ Lire le premier numéro spécial de Panorama légal de la CPI sur le jugement Ngudjolo ■ Pour de plus amples renseignements sur l’affaire contre Ngudjolo, veuillez consulter les publications Gender Report Card (en anglais) 2012, 2011, 2010, 2009 et le Rapport genre 2008 ■ Vous pouvez également consulter la série de numéros spéciaux de Panorama légal de la CPI sur le jugement Lubanga |
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1 La Chambre de première instance II était composée du juge Bruno Cotte (France), de la juge Fatoumata Dembele Diarra (Mali) et de la juge Christine Van den Wyngaert (Belgique). |
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