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Legal Eye eLetter

Numéro spécial #2— juin 2012

Bienvenue à
Panorama légal de la CPI
bulletin juridique

 
 

 

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Women’s Initiatives for Gender Justice est une organisation internationale de défense des droits des femmes militant pour la justice pour les femmes, comprenant l’inclusion des crimes basés sur le genre, dans les enquêtes et les poursuites judiciaires de la Cour pénale internationale (CPI) et dans les mécanismes nationaux, y compris les négociations de paix et les processus de justice. Nous travaillons avec les femmes plus touchées par les situations de conflit qui font l’objet d’une enquête de la CPI.

Women’s Initiatives for Gender Justice a des programmes en Ouganda, en RDC, au Soudan, en République centrafricaine, au Kenya, en Libye et au Kirghizistan.

Bureaux
Le Caire, Egypte
Kampala and Kitgum, en Ouganda
La Haye, aux Pays-Bas

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Chères amies, chers amis,

Bienvenue à ce numéro spécial de Panorama légal de la CPI, le bulletin juridique régulier de Women's Initiatives for Gender Justice. Dans Panorama légal de la CPI, vous trouverez des résumés et des analyses de genre portant sur les dernières décisions judiciaires et autres développements légaux au sein de la Cour pénale internationale (CPI). Vous pourrez également consulter des discussions sur des questions juridiques découlant de la participation des victimes devant la CPI, notamment lorsque ces questions se rapportent à des accusations de crimes basés sur le genre, et ce, pour chacune des situations faisant l’objet d’une enquête de la CPI. La Cour enquête actuellement sur des situations se déroulant dans sept pays, soit en Ouganda, en République démocratique du Congo (RDC), au Darfour (Soudan), en République centrafricaine (RCA), au Kenya, en Libye et en Côte d'Ivoire.

En plus de Panorama légal de la CPI, nous produisons également Voix des Femmes, une lettre d’information régulière fournissant des mises à jour et des analyses sur les derniers développements politiques, la poursuite de la justice et la responsabilité pénale, la participation des femmes aux pourparlers de paix et aux efforts de réconciliation, du point de vue de militants pour les droits des femmes qui se trouvent dans des situations de conflits armés, notamment ceux faisant l’objet d’enquêtes de la CPI.

Pour de plus amples renseignements sur le travail de Women’s Initiatives for Gender Justice ou pour consulter des versions antérieures de Voix des femmes et de Panorama légal de la CPI, veuillez visiter notre site web www.iccwomen.org.

Ce numéro spécial est le deuxième d’une série de publications portant sur le premier jugement rendu par la Chambre de première instance I, le 14 mars 2012, dans le cadre de l’affaire contre Thomas Lubanga Dyilo. Dans ce numéro spécial, nous analyserons les conclusions de la Chambre de première instance quant à la responsabilité pénale individuelle de Lubanga en ce qui a trait aux chefs d’accusation qui ont été portés contre lui. Les deux prochains numéros spéciaux examineront respectivement les conclusions de la Chambre en ce qui concerne les techniques d’enquête de l’Accusation et son utilisation d’intermédiaires, puis les procédures en réparation. Le premier numéro spécial de cette série a discuté des conclusions de la Chambre en ce qui a trait aux témoignages concernant la violence sexuelle présentés par les témoins de l’Accusation durant le procès. Pour consulter le premier numéro spécial de Panorama légal de la CPI, cliquez ici.

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RDC :: Le jugement Lubanga – La responsabilité pénale individuelle de Lubanga

Le 14 mars 2012, la Chambre de première instance I a rendu un jugement relatif à la première affaire devant la CPI, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, déclarant Thomas Lubanga Dyilo (Lubanga) coupable des crimes de guerre de conscription et d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et du fait de les avoir fait participer activement à des hostilités, au sens des articles 8(2)(e)(vii) et 25(3)(a) du Statut, du début septembre 2002 au 13 août 2003 (jugement).[1] Lubanga est l’ancien président de l’Union des patriotes congolais (UPC) et commandant en chef des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC).

Dans son jugement de 624 pages, auquel s’ajoutent une opinion individuelle et une opinion dissidente, la Chambre de première instance a considéré la responsabilité pénale individuelle de Lubanga pour les crimes dont il est accusé et elle a aussi examiné en détail les arguments des parties, discutant de questions telles que l’utilisation d’intermédiaires par l’Accusation dans le cadre de ses enquêtes, et les requêtes d’abus de procédure formulées par la Défense. La Chambre de première instance a d’abord présenté un bref historique des procédures et abordé des questions de procédures soulevées lors du procès, notamment en matière de juridiction et de participation des victimes. La Chambre a fait remarquer qu’un total de 129 victimes (34 de sexe féminin et 95 de sexe masculin) avaient obtenu l’autorisation de participer aux procédures. La Chambre a aussi affirmé que si « toutes les 129 victimes ont déclaré avoir subi un préjudice du fait de l’enrôlement ou de la conscription d’enfants de moins de 15 ans ou de leur utilisation pour les faire participer activement aux hostilités, beaucoup ont aussi allégué avoir subi un préjudice du fait d’autres crimes ne faisant pas l’objet des charges retenues contre l’accusé, comme des violences sexuelles, des tortures et d’autres formes de mauvais traitements ».[2] Les accusations restreintes portées contre Lubanga sont détaillées dans le premier numéro spécial de cette série.

Après avoir dressé une vue d’ensemble des faits, y compris le contexte du conflit en Ituri et en particulier celui entre les groupes ethniques Hema et Lendu, ainsi que de la création de l’UPC, la Chambre de première instance a examiné et discuté en détail des éléments de preuve. Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’historique des procédures relatives à l’affaire Lubanga est complexe et de nombreuses contestations ont été formulées par la Défense concernant les éléments de preuve de l’Accusation et l’utilisation d’intermédiaires. La Chambre de première instance a donc tiré des conclusions légales et de fait en ce qui a trait à la fiabilité de plusieurs témoins et consacré une importante partie du procès aux détails de l’approche utilisée lors des enquêtes menées par le Bureau du Procureur dans cette affaire.[3] Après s’être penchée sur ces questions et leurs implications, la Chambre a ensuite discuté de la nature du conflit armé. Comme nous le verrons ci-dessous, la Chambre a requalifié le confit armé, concluant que l’ensemble de la période couverte par les accusations devrait être qualifié de conflit armé interne. Enfin, après avoir analysé les éléments des crimes pour lesquels des chefs d’accusation ont été portés contre Lubanga, ainsi que les observations de fait, incluant des témoignages sur la violence sexuelle,[4] la Chambre a considéré la responsabilité pénale individuelle de Lubanga. Cette section comprenait aussi une analyse de fait des éléments de la forme de responsabilité utilisée dans les accusations contre Lubanga, y compris le plan commun, la contribution de Lubanga et la condition d’ordre psychologique de la coaction indirecte. Les conclusions de la Chambre quant à la responsabilité pénale individuelle de Lubanga sont examinées en détail ci-dessous.

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La qualification du conflit

La qualification du conflit, qu’il soit international ou non-international, a été une question récurrente dans l’affaire Lubanga. Au départ, six chefs d’accusation pour crimes de guerre ont été portés contre Lubanga, soit l’enrôlement, la conscription et l’utilisation d’enfants soldats dans le contexte d’un conflit armé ne présentant pas un caractère international (article 8(2)(e)(vii)), puis l’enrôlement, la conscription et l’utilisation d’enfants soldats dans un contexte de conflit armé présentant un caractère international (article 8(2)(b)(xxvi)), sur la base de l’opinion de la Chambre préliminaire considérant que le conflit armé qui a eu lieu en Ituri pouvait être qualifié de conflit de nature internationale de juillet 2002 au 2 juin 2003, puis s’était transformé en conflit armé interne entre le 2 juin et décembre 2003.[5]La Chambre préliminaire, considérant qu’il y avait des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que l’Ouganda fournissait des armes, des formations et avait finalement pris le contrôle de Bunia, a soutenu que la participation de l’Ouganda au conflit accordait une nature internationale au conflit jusqu’au 2 juin 2003, date du retrait effectif de l’armée ougandaise.[6] Cette conclusion contrastait avec celle du Procureur qui affirmait que les crimes allégués avaient été commis dans un contexte de conflit armé ne présentant pas un caractère international. L’Accusation et la Défense ont toutes deux sollicité l’autorisation d’interjeter appel de cette qualification par la Chambre, mais cette requête a été infirmée par la Chambre préliminaire.

En expliquant son refus, la Chambre préliminaire a fait référence à la norme 55 du Règlement de la Cour.[7] À la suite du transfert du dossier de la Chambre préliminaire à la Chambre de première instance, les parties et les participants ont présenté leurs observations sur cette question. La Chambre de première instance a ensuite avisé les parties et les participants, conformément à la norme 55, les informant qu’ils devraient « préparer leur cause en gardant à l’esprit que les juges décideront peut‐être que le premier groupe de trois charges couvre des conflits armés aussi bien internationaux qu’internes ».[8] Dans son ordonnance relative aux conclusions finales de l’affaire, la Chambre a invité les parties et les participants à présenter leurs observations sur la qualification du conflit.[9]

Après avoir examiné les observations des parties et des participants sur la qualification du conflit, ainsi que les éléments de preuve présentés à cette fin, la Chambre de première instance a conclu que le conflit armé entre l’UPC/FPLC et les autres groupes armés en Ituri qui ont eu lieu entre septembre 2002 et le 13 août 2003 ne présentait pas un caractère international. La Chambre a maintenu que l’occupation de l’aéroport de Bunia par l’armée ougandaise ne rendait pas le conflit international, car il ne s’est pas soldé par un conflit entre deux États.[10] Ainsi, l’application de la norme 55 par la Chambre a modifié la caractérisation juridique des faits « dans la mesure où le conflit armé lié aux charges ne présentait pas un caractère international ».[11] Par conséquent, le jugement de la Chambre a limité son évaluation de la responsabilité pénale individuelle de Lubanga à l’enrôlement, à la conscription et à l’utilisation d’enfants soldats en vertu de l’article 8(2)(e)(vii).

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La responsabilité pénale individuelle

L’Accusation a porté des chefs d’accusation contre Lubanga en tant que coauteur selon l’article 25(3)(a),[12] alléguant qu’à titre de président et commandant en chef il exerçait à la fois un contrôle fonctionnel et de facto sur tous les niveaux de l’organisation, qu’il prenait les décisions finales et qu’il dictait la stratégie et la politique de l’UPC/FPLC. Selon l’Accusation, Lubanga était conscient des crimes et ils ont été commis intentionnellement : Lubanga était régulièrement avisé des crimes commis et il avait le pouvoir d’ordonner leur cessation. L’Accusation a aussi prétendu que les décrets de démobilisation, qui étaient selon elle destinés à dissimuler les crimes, prouvaient que Lubanga savait que des enfants soldats étaient présents dans sa milice.[13] La Défense a affirmé qu’au contraire, sa seule contribution essentielle était d’agir à titre de leader politique. La Défense a ajouté que Lubanga n’avait donné aucun ordre relatif au recrutement ou à la formation de soldats, car il n’intervenait pas dans les affaires militaires telles que le recrutement ou les opérations militaires.[14]

La Chambre de première instance I a condamné Lubanga en tant que coauteur conformément à l’article 25(3)(a) du Statut de Rome qui affirme dans une partie pertinente qu’« une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime […] si [elle] commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par l'intermédiaire d'une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable ». Pour parvenir à cette conclusion, la Chambre s’est appuyée considérablement sur des preuves documentaires et des vidéos. La Chambre a analysé les cinq critères de responsabilité pénale individuelle énoncés par la Chambre préliminaire dans sa Décision sur la confirmation des charges et a conclu que les éléments de preuve présentés par l’Accusation satisfaisaient chacun des cinq éléments de la coaction.[15] Ces cinq critères (dont deux des éléments sont objectifs et trois sont subjectifs) sont examinés en détail ci-dessous.

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Les éléments objectifs de la coaction : le plan commun et la contribution essentielle

Dans sa Décision sur la confirmation des charges, la Chambre préliminaire avait retenu deux éléments objectifs : (i) l’existence d’un accord ou d’un plan commun entre deux ou plusieurs personnes ; (ii) l’apport, de la part de chaque coauteur, d’une contribution essentielle et coordonnée aboutissant à la réalisation des éléments objectifs du crime.[16] En se basant sur le raisonnement de la Chambre préliminaire, la Chambre de première instance a conclu qu’un chef d’accusation de coaction exige qu’au moins deux individus agissent ensemble au sein d’un plan commun, qui doit comporter « un élément de criminalité ». Cependant, ce dernier ne doit pas nécessairement viser spécifiquement la perpétration d’un crime.[17] Ainsi, la Chambre a affirmé que : « l’accord sur un plan commun conduit à la coaction si sa mise en œuvre emporte [sic] un risque suffisant que, dans le cours normal des événements, un crime soit commis ».[18] La Chambre a aussi précisé que l’existence d’un plan commun pouvait être déduite de preuves indirectes.[19]

Lors de son analyse des éléments de preuve d’un plan commun entre l’accusé et ses coauteurs, la Chambre s’est basée sur des éléments de preuve qui ont précédé la période couverte par les accusations afin d’obtenir des renseignements qui pourraient lui permettre de constater une participation commune des coauteurs au cours d’une longue période de temps, avant et pendant le contrôle de l’UPC en Ituri.[20] La Chambre a fait remarquer que des témoins de l’Accusation avaient déclaré que Lubanga était devenu le porte-parole d’un groupe de mutins hema, groupe qui est ensuite devenu l’UPC,[21] et qu’ils ont fourni des preuves de la participation de Lubanga à une formation à Kyankwanzi, où ce dernier aurait suivi une formation en présence d’enfants soldats.[22] Des éléments de preuve ont aussi été présentés relativement à deux autres périodes, une avant la prise de Bunia et l’autre durant l’été 2002 alors que l’accusé était détenu à Kinshasa. Ceux-ci ont été utilisés pour déduire qu’un plan commun était en développement dans le but de créer une armée pour contrôler l’Ituri. La Chambre a eu recours à des témoignages et à des preuves documentaires pour affirmer que : « Thomas Lubanga entendait personnellement prendre le contrôle de Bunia ».[23] Des témoins ont discuté du rôle de l’accusé durant le recrutement de troupes, incluant des soldats âgés de moins de 15 ans, durant l’été 2002.[24] Après la prise de Bunia, la Chambre a conclu que les éléments de preuve prouvaient que l’UPC disposait d’une branche militaire, les FPLC, dont le but était d’élargir son rôle en Ituri.[25]

À la suite de son évaluation des éléments de preuve, la Chambre de première instance a décrit que les coauteurs avaient approuvé un plan commun « visant à constituer une armée efficace pour garantir la domination de l’UPC/FPLC en Ituri ».[26] La Chambre a aussi conclu qu’à partir de septembre 2002, au moins, Lubanga était président de l’UPC et qu’à ce titre il avait approuvé et activement participé à la mise en œuvre du plan commun. La Chambre a ajouté que le plan commun, ainsi que la participation de Lubanga à ce plan, n’avait pas changé au cours de la période visée par les accusations.

La Chambre a conclu que Lubanga, en tant que président et commandant en chef de l’UPC/FPLC, était en mesure d’influencer, de modeler et de diriger les politiques et les activités de la milice et de ses coauteurs. Il était régulièrement informé des faits et donnait des instructions concernant la mise en œuvre du plan commun. Lubanga tenait aussi un rôle important en matière d’appui logistique et participait à la planification des opérations militaires.[27] La Chambre a aussi estimé que Lubanga exerçait une autorité directe sur les autres responsables militaires chargés de la formation des enfants recrutés.[28] En raison de son rôle et de ses activités au sein de l’UPC/FPLC, de la participation de Lubanga à des meetings et de visites rendues aux troupes et aux recrues, la Chambre de première instance a conclu que le plan commun, qui s’est soldé par les crimes de conscription, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants de moins de 15 ans, « n’aurait pas pu être mis en œuvre sans [la contribution de l’accusé] ».[29] En tenant compte de cet élément de coaction, la Chambre s’est fortement appuyée sur une vidéo montrant une visite de l’accusé au camp de formation de Rwampara et a inclus un long extrait du discours de Lubanga dans son jugement.[30]

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Les éléments subjectifs de la coaction

Au-delà des deux éléments objectifs de la coaction, la Chambre préliminaire a aussi défini trois éléments subjectifs, ou psychologiques. La Chambre de première instance a adopté l’approche de la Chambre préliminaire et elle a maintenu que l’Accusation devait établir que : (i) l’accusé était conscient qu’en mettant en œuvre le plan commun, des conséquences criminelles « adviendrai[ent] dans le cours normal des événements » ; (ii) l’accusé était conscient qu’il apportait une contribution essentielle à la mise en œuvre du plan commun ; (iii) l’accusé devait avoir connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé, et il devait avoir connaissance du lien entre ces faits et son comportement.[31] Il est important de souligner que la Chambre de première instance a analysé ces éléments psychologiques conformément à l’article 30 du Statut, dont les critères d’intention et de connaissance s’appliquent généralement à tous les crimes énumérés dans le Statut, plutôt qu’en vertu des normes moins exigeantes de l’article 8, reconnu comme une exception à l’article 30.[32]

Après être parvenue à cette conclusion, la Chambre de première instance a combiné son évaluation des deux éléments psychologiques requis en ce qui concerne les crimes pour lesquels des chefs d’accusation ont été portés (éléments (i) et (ii) ci-dessus), en utilisant le critère suivant :

L’Accusation doit donc prouver que Thomas Lubanga entendait participer à la mise en œuvre du plan commun et, de surcroît, qu’il était conscient que la conscription, l’enrôlement ou l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans « adviendrait dans le cours normal des événements » du fait de la mise en œuvre du plan commun. La Chambre doit être convaincue que l’accusé savait que les enfants étaient âgés de moins de 15 ans et, de surcroît, qu’il était conscient d’apporter à la mise en œuvre du plan commun une contribution essentielle.[33]

En déclarant que l’Accusation avait établi l’intention et la connaissance de l’accusé, la Chambre a examiné des éléments de preuve montrant que Lubanga aurait « fréquemment tenté de convaincre la population de fournir de la nourriture et de mettre à disposition des jeunes gens pour qu’ils rejoignent les rangs de l’UPC/FPLC et s’entraînent avec ses troupes ».[34] La Chambre s’est basée sur des témoignages et des preuves documentaires, y compris des vidéos qui selon elle prouvaient que l’accusé savait qu’il y avait des enfants âgés de moins de 15 ans dans les troupes de l’UPC/FPLC, en particulier parmi les gardes du corps. La majeure partie de l’analyse de la Chambre relative à cet élément psychologique combiné s’est concentrée sur les efforts présumés de l’accusé de procéder à la démobilisation des enfants soldats, car ceux-ci prouvaient sa connaissance de leur conscription, de leur enrôlement et de leur utilisation. La Chambre a consulté de nombreux documents[35] concernant les efforts de démobilisation entrepris par l’UPC sous le contrôle de Lubanga pour conclure que ces efforts étaient le résultat de pressions externes exercées par des organisations de défense des droits humains. En outre, la Chambre a jugé que tous les efforts de démobilisation avaient été minés par le comportement de l’accusé, qui « était totalement incompatible avec l’intention sincère d’éviter tout recrutement d’enfants au sein de la FPLC ou de démobiliser les enfants qui en faisaient partie ».[36] La Chambre a donc conclu que Lubanga était conscient qu’en mettant en œuvre le plan commun, des conséquences criminelles « adviendrai[ent] dans le cours normal des événements » et qu’il était conscient qu’il apportait une contribution essentielle à la mise en œuvre du plan commun.

Enfin, la Chambre a aussi conclu que le troisième élément subjectif concernant la connaissance de l’accusé de l’existence d’un conflit armé et du lien entre ce conflit et son comportement avait été prouvé « [a]u vu des preuves analysées plus haut », faisant ici référence à toute la section sur la responsabilité pénale.[37]

La Chambre s’est basée sur une vidéo où l’accusé visite le camp de formation de Rwampara, le 12 février 2003,[38] pour prouver chacun des cinq éléments de la coaction, en plus d’autres éléments de preuve. La vidéo montre l’accusé en train d’exhorter les troupes – qui incluent des enfants de moins de 15 ans – à s’entraîner, à utiliser des armes et à assurer la sécurité de la population congolaise.[39] La Chambre a affirmé qu’en montrant les coauteurs[40] ensemble dans la vidéo constituait une preuve d’un plan commun.[41] La vidéo prouve également la « contribution essentielle » de l’accusé, car conjointement aux autres éléments de preuve, elle établit sa contribution en tant que responsable le plus haut placé de l’UPC faisant partie du plan commun de procéder à la conscription d’enfants âgés de moins de 15 ans.[42] La Chambre a largement utilisé la vidéo de la visite à Rwampara dans le cadre de son examen des éléments psychologiques des crimes et pour constater que l’accusé savait qu’il y avait des enfants de moins de 15 ans parmi les troupes de l’UPC/FPLC. La Chambre a confirmé que la vidéo montrait des « recrues clairement âgées de moins de 15 ans », et que « l’accusé a vu des recrues de l’UPC/FPLC âgées de moins de 15 ans au camp de Rwampara en février 2003 ».[43] Dans son dernier paragraphe concernant les éléments psychologiques des crimes, la Chambre a déclaré que « l’enregistrement vidéo réalisé le 12 février 2003 prouve de façon convaincante que Thomas Lubanga avait connaissance de la présence persistante d’enfants de moins de 15 ans au sein de l’UPC et illustre son attitude à cet égard ».[44] La forte dépendance de la Chambre sur les vidéos et les preuves documentaires pour déterminer la responsabilité pénale individuelle de Lubanga en tant que coauteur illustre un manque de témoignages à suffisamment crédibles, étant donné que la Chambre a affirmé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les intermédiaires de l’Accusation avaient indûment influencé les témoignages de présumés anciens enfants soldats et qu’elle ne pouvait pas se fier en toute confiance à leur témoignage.[45]

En concluant que tous les éléments de la coaction avaient été satisfaits, la Chambre de première instance I a jugé que Lubanga était individuellement pénalement responsable en tant que coauteur en vertu de l’article 25(3)(a) et l’a déclaré coupable des crimes de guerre de conscription et d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et du fait de les avoir fait participer activement à des hostilités dans un contexte de conflit armé ne présentant pas un caractère international, et ce, du début septembre 2002 au 13 août 2003.

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L’opinion individuelle du juge Fulford

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le juge Fulford a émis une opinion individuelle pour donner son avis sur l’étendue du chef d’accusation de la coaction en vertu de l’article 25(3)(a). En particulier, le juge Fulford a exprimé son désaccord avec la norme établie par la Chambre préliminaire et adoptée par la Chambre de première instance, préférant une interprétation au sens ordinaire de l’article, comme décrit ci-dessous. Cependant, le juge Fulford a affirmé qu’afin de préserver les droits de l’accusé prévus par le Statut, la Chambre de première instance ne pouvait pas modifier un critère par un critère moins strict de « contribution », par opposition à un critère de « contribution essentielle », à ce stade des procédures et sans notification préalable. Pour ces motifs, il a consenti au jugement sur cette question, mais il a rédigé une opinion individuelle pour clarifier sa position relative à la loi.

Le critère de la coaction tel qu’établi par la Chambre préliminaire dans sa Décision sur la confirmation des charges, et qui est reflété dans le jugement du procès, comprenait un principe de « contrôle exercé sur le crime », établissant que la responsabilité de coauteur n’est imputable qu’aux personnes dont on peut dire qu’elles « exercent un contrôle sur le crime ».[46] Selon le juge Fulford, « l’adoption par la Chambre préliminaire de la théorie du contrôle exercé sur le crime reposait avant tout sur l’impression qu’il était nécessaire de distinguer nettement les diverses formes de responsabilité visées aux alinéas a) à d) de l’article 25-3 du Statut et, en particulier, de faire le départ entre la responsabilité des “complices“, visée à l’article 25-3-b, et celle des “auteurs principaux“, visée à l’article 25-3-a du Statut ».[47] Du point de vue du juge Fulford, cette interprétation est erronée, n’est pas soutenue par une interprétation du sens courant du Statut et n’était pas nécessaire, car « les modes de commission envisagés aux alinéas a) à d) de l’article 25-3 n’avaient pas vocation à s’exclure les uns les autres ».[48] Même si une telle approche pourrait s’avérer utile si les peines étaient strictement déterminées en vertu de l’article et de la sous-section pour lesquels des chefs d’accusation ont été portés contre un accusé, ces considérations ne s’appliquent pas à la CPI qui a le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de « toutes les considérations pertinentes [5]» lors de la fixation de la peine.[49]

L’interprétation du sens courant de l’article 25(3)(a) par le juge Fulford entraînerait une norme de preuve moins stricte pour l’Accusation, dans laquelle au moins deux individus devraient agir afin de mettre en œuvre un plan commun. Au lieu de la « contribution essentielle » telle que définie dans le jugement du procès, il utiliserait une norme qui nécessite une « contribution au crime, qui peut être directe ou indirecte, pourvu que, dans l’un ou l’autre cas, il y ait un lien de causalité entre la contribution de l’intéressé et le crime ».[50] Le juge Fulford a affirmé que cette approche est non seulement conforme au sens ordinaire du Statut, mais qu’elle permettrait aussi à la Cour d’utiliser une approche réaliste pour établir la responsabilité des coauteurs. Il a souligné que « l’exercice consistant à déterminer a posteriori si une personne a apporté une contribution essentielle à des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou un génocide se révélera souvent irréaliste et artificiel ».[51] Pour toutes ces raisons, le juge Fulford a refusé de souscrire à l’approche que la Chambre préliminaire et ses collègues juges de la Chambre de première instance I ont retenue s’agissant de la responsabilité du coauteur ».[52]

■ Lire leJugement de la Chambre de première instance

■ Lire l’Opinion individuelle du juge Fulford, p 650-664

■ Lire le numéro spécial précédent de Panorama légal de la CPI, discutant des conclusions de la Chambre en ce qui a trait aux témoignages concernant la violence sexuelle

■ Pour de plus amples renseignements sur l’affaire Lubanga, veuillez consulter les publications Rapport genre 2008 et Gender Report Card (en anglais) 2009, 2010 et 2011

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1   ICC-01/04-01/06-2842tFRA.
2   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 16.
3   Cette section du jugement de la Chambre sera examinée en détail dans le prochain numéro spécial de Panorama légal de la CPI.
4   Pour une analyse plus détaillée de la discussion de la Chambre sur les témoignages concernant la violence sexuelle, veuillez consulter le premier numéro spécial de cette série, disponible ici.
5   ICC-01/04-01/06-803, par 220.
6   ICC-01/04-01/06-803, par 219-220.
7   La norme 55 affirme que la Chambre peut modifier la qualification juridique des faits afin qu’ils concordent avec les crimes ou avec le mode de responsabilité, sans dépasser le cadre des faits et circonstances décrits dans les charges. En particulier, la norme 55(2) stipule que si : « à un moment quelconque du procès, la chambre se rend compte que la qualification juridique des faits peut être modifiée, elle informe les participants à la procédure d’une telle possibilité et, après avoir examiné les éléments de preuve, donne en temps opportun aux participants la possibilité de faire des observations orales ou écrites ».
8   ICC-01/04-01/06-1084-tFRA, par 49.
9   Conformément avec ces instructions, dans ses conclusions finales, en août 2011, l’Accusation a soutenu que le conflit pouvait plus adéquatement être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international. L’Accusation a donc demandé à la Chambre de requalifier les chefs d’accusation sur la base de la norme 55(2). ICC-01/04-01/06-T-356-FRA, p 38-43. Pour une analyse détaillée des conclusions finales de l’Accusation, veuillez consulter Gender Report Card 2011 (en anglais), p 210-211.
10   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 565.
11   IICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 566.
12  L’article 25(3) prévoit qu’aux « termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la Cour si : a) Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par l'intermédiaire d'une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable ».
13   ICC-01/04-01/06-T-356-FRA, p 24 lignes 4-10, 15-21 ; p 32 lignes 15-27 ; ICC-01/04-01/06-2748-Red, par 250-348. Voir aussi Gender Report Card 2011 (en anglais), p 205-211.
14   ICC-01/04-01/06-T-357-FRA, p 25 lignes 24-28, p 26 lignes 1-8 ; ICC-01/04-01/06-2773-Red, par 63, 792, 795. Voir aussi Gender Report Card 2011 (en anglais), p 214-218.
15   ICC-01/04-01/06-803. La qualification juridique de la coaction est l’objet de l’Opinion individuelle du juge Adrian Fulford, dans laquelle il soutient que l’analyse de l’article 25(3)(a) de la Chambre préliminaire ne trouve pas de fondement dans le texte du Statut et qu’une interprétation du sens courant du Statut a mené à une norme moins stricte de responsabilité en tant que coauteur. Cette norme moins stricte nécessite seulement une contribution, et non pas une contribution essentielle, au plan commun (Opinion individuelle du juge Adrian Fulford, par 16).
16   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 923, citant ICC-01/04-01/06-803, par 343, 346.
17   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 980-981. La Chambre a noté que les coauteurs présumés de Lubanga étaient Floribert Kisembo, le chef Kahwa et Bosco Ntaganda, ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1131, 1271.
18   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 987.
19   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 988.
20   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1116.
21   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1027-1028.
22   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1031-1033 ; 1036.
23   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1108 ; 1125.
24   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1074-1084.
25   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1125.
26   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1134.
27   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1270.
28   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1269.
29   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1270.
30   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1242.
31   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1013-1018.
32   Dans son évaluation de l’élément psychologique requis par les Éléments des crimes, la Chambre préliminaire a fait remarquer que bien que les articles 8(2)(b)(xxvi) et 8(2)(e)(vii) prévoient que le crime est considéré commis s’il est établi que l’accusé « savait ou aurait dû savoir » que la personne concernée était âgée de moins de 15 ans, cette norme se heurte aux éléments de la coaction qui exigent « que tous les coauteurs, y compris le suspect, de manière partagée, sachent et acceptent que les éléments objectifs du crime résulteront probablement de la mise [en] œuvre du plan commun » (ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 929, citant ICC-01/04-01/06-803, par 365). Par conséquent, la Chambre préliminaire a établi, et la Chambre de première instance a accepté, que la norme appropriée à appliquer à l’élément psychologique dans cette affaire serait celle formulée à l’article 30, qui s’applique à tous les crimes relevant de la compétence de la Cour, de l’« intention » et de la « connaissance » (ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1014). Les deux Chambres ont donc jugé que la Chambre de première instance devrait utiliser l’élément psychologique plus exigeant de l’article 30, plutôt que les normes comprises dans l’article 8(2)(e)(vii) des Éléments des crimes pour examiner les éléments de preuve.
33   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1274.
34   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1277.
35   Ceux-ci incluent les instructions de démobilisation datées du 21 et du 30 octobre 2002 ; la demande de préparation d’un rapport datée du 27 janvier 2003 et la lettre du 16 février 2003 ; la lettre envoyée le 12 février 2003 ; le décret de démobilisation daté du 1er juin 2003. ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1292-1316.
36   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1335.
37   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1349-1350.
38   La vidéo, EVD-OTP-00570, a été produite par l’entremise du témoin 30.
39   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1242.
40   La Chambre a noté que les coauteurs présumés de Lubanga étaient Floribert Kisembo, le chef Kahwa et Bosco Ntaganda. ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1131, 1271.
41   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1211-1212.
42   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1267.
43   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 792-793.
44   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 1348.
45   Dans deux exceptions, la Chambre a estimé que le témoin de l’Accusation 38 était un témoin crédible. Elle a aussi utilisé le témoignage du témoin de l’Accusation 10, mais seulement dans le contexte de la vidéo du camp de formation à Rwampara. La question de la fiabilité des témoins de l’Accusation et de son utilisation d’intermédiaires sera examinée davantage dans le troisième numéro spécial de cette série.
46   ICC-01/04-01/06-803, par 326-338.
47   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, Opinion individuelle du juge Adrian Fulford, par 6, faisant référence à ICC-01/04-01/06-803, par 327-340.
48   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, Opinion individuelle du juge Adrian Fulford, par 7. Voir aussi par 6, 13.
49   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, Opinion individuelle du juge Adrian Fulford, par 9.
50   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, Opinion individuelle du juge Adrian Fulford, par 16(c).
51   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, Opinion individuelle du juge Adrian Fulford, par 17.
52  ICC-01/04-01/06-2842tFRA, Opinion individuelle du juge Adrian Fulford, par 18.

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