Numéro spécial #1 — mai 2012 |
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Women’s Initiatives for Gender Justice est une organisation internationale de défense des droits des femmes militant pour la justice pour les femmes, comprenant l’inclusion des crimes basés sur le genre, dans les enquêtes et les poursuites judiciaires de la Cour pénale internationale (CPI) et dans les mécanismes nationaux, y compris les négociations de paix et les processus de justice. Nous travaillons avec les femmes plus touchées par les situations de conflit qui font l’objet d’une enquête de la CPI. Women’s Initiatives for Gender Justice a des programmes en Ouganda, en RDC, au Soudan, en République centrafricaine, au Kenya, en Libye et au Kirghizistan. Bureaux |
Chères amies, chers amis,Bienvenue à ce numéro spécial de Panorama légal de la CPI, le bulletin juridique régulier de Women's Initiatives for Gender Justice. Dans Panorama légal de la CPI, vous trouverez des résumés et des analyses de genre portant sur les dernières décisions judiciaires et autres développements légaux au sein de la Cour pénale internationale (CPI). Vous pourrez également consulter des discussions sur des questions juridiques découlant de la participation des victimes devant la CPI, notamment lorsque ces questions se rapportent à des accusations de crimes basés sur le genre, et ce, pour chacune des situations faisant l’objet d’une enquête de la CPI. La Cour enquête actuellement sur des situations se déroulant dans sept pays, soit en Ouganda, en République démocratique du Congo (RDC), au Darfour (Soudan), en République centrafricaine (RCA), au Kenya, en Libye et en Côte d'Ivoire. En plus de Panorama légal de la CPI, nous produisons également Voix des Femmes, une lettre d’information régulière fournissant des mises à jour et des analyses sur les derniers développements politiques, la poursuite de la justice et la responsabilité pénale, la participation des femmes aux pourparlers de paix et aux efforts de réconciliation, du point de vue de militants pour les droits des femmes qui se trouvent dans des situations de conflits armés, notamment ceux faisant l’objet d’enquêtes DE la CPI. Pour de plus amples renseignements sur le travail de Women’s Initiatives for Gender Justice ou pour consulter des versions antérieures de Voix des femmes et de Panorama légal de la CPI, veuillez visiter notre site web www.iccwomen.org. Ce numéro spécial est le premier d’une série de quatre publications portant sur le premier jugement rendu par la Chambre de première instance I, le 14 mars 2012, dans le cadre de l’affaire contre Thomas Lubanga Dyilo. Dans ce premier numéro spécial, nous discuterons des conclusions de la Chambre en ce qui a trait aux témoignages concernant la violence sexuelle qui ont été présentés par les témoins de l’Accusation durant le procès. De plus, ce numéro spécial comprend un résumé de la demande de participation aux procédures en réparation relatives à l’affaire Lubanga, déposée par Women’s Initiatives for Gender Justice le 28 mars et approuvée par la Chambre de première instance le 20 avril 2012. Dans le deuxième numéro spécial, nous analyserons les conclusions de la Chambre de première instance quant à la responsabilité pénale individuelle de Lubanga en ce qui a trait aux chefs d’accusation qui ont été portés contre lui. Le troisième numéro spécial abordera les conclusions de la Chambre en ce qui concerne les techniques d’enquête de l’Accusation ainsi que son utilisation d’intermédiaires lors de ses enquêtes. Enfin, le quatrième numéro spécial traitera des procédures en réparation relatives à l’affaire Lubanga, incluant les observations présentées à la Cour par Women’s Initiatives for Gender Justice le 10 mai 2012. RDC :: La Chambre de première instance I rend le premier jugement de la CPI — analyse relative à la violence sexuelleLe 14 mars 2012, la Chambre de première instance I a rendu un jugement relatif à la première affaire devant la CPI, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, déclarant Thomas Lubanga Dyilo (Lubanga) coupable des crimes de guerre de conscription et d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et du fait de les avoir fait participer activement à des hostilités, au sens des articles 8(2)(e)(vii) et 25(3)(a) du Statut, du début septembre 2002 au 13 août 2003.[1] Lubanga est l’ancien président de l’Union des patriotes congolais (UPC) et commandant en chef des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Dans son jugement de 624 pages, auquel s’ajoutent une opinion individuelle et une opinion dissidente, la Chambre de première instance a considéré la responsabilité de Lubanga pour les crimes dont il est accusé et elle a aussi examiné en détail les arguments des parties, abordant des questions telles que l’utilisation d’intermédiaires par l’Accusation dans le cadre de ses enquêtes, et les requêtes d’abus de procédure formulées par la Défense.[2] Ces questions seront examinées en détail dans les autres numéros de cette série. Le juge Fulford a pris une décision individuelle quant à la manière dont l’article 25(3)(a) du Statut s’applique à une personne présumée avoir commis un crime « conjointement avec d’autres personnes ». La juge Odio Benito a quant à elle rendu une décision individuelle et dissidente concernant trois aspects particuliers du jugement : (i) la définition juridique des crimes d’enrôlement, de conscription et d’utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour les faire participer activement à des hostilités ; (ii) la manière dont la majorité a traité le cas des personnes ayant la double qualité de victime et de témoin, lorsqu’elle s’est penchée sur leur qualité de victime participant à cette affaire ; (iii) la valeur probante de certaines vidéos.[3] L’audience de fixation de la peine de Lubanga a eu lieu le 13 juin 2012.[4] La violence sexuelle dans le contexte de l’affaire LubangaComme nous l’avons mentionné précédemment, les chefs d’accusation qui ont été portés contre Lubanga et pour lesquels ce dernier a été jugé et condamné se sont limités à l’enrôlement, à la conscription et à l’utilisation d’enfants soldats ; il n’y a eu aucune accusation de viol ou de violence sexuelle. Cependant, dans le cadre des procédures, de nombreux témoins de l’Accusation ont livré des témoignages détaillés concernant des violences sexuelles commises par l’UPC envers des enfants soldats. Dans son jugement, la majorité de la Chambre de première instance I a estimé qu’elle n’avait pas pu considérer ces éléments de preuve, conformément à l’article 74(2),[5] parce que les allégations factuelles relatives à la violence sexuelle n’avaient pas été incluses dans la Décision de confirmation des charges de la Chambre préliminaire. Sans prononcer de conclusions de fait au sujet des preuves de violence sexuelle, la Chambre a cependant discuté en détail des témoignages de violence sexuelle. Dans son opinion individuelle et dissidente, la juge Odio Benito a soutenu que la violence sexuelle était intrinsèquement liée à la définition juridique de l’« utilisation d’enfants pour les faire participer activement à des hostilités ».[6] Le jugement et l’opinion individuelle et dissidente de la juge Odio Benito seront examinés ci-dessous. Il est bien connu que la République démocratique du Congo (DRC) possède l’un des taux de violence sexuelle les plus élevés du monde[7] et il existe de nombreuses preuves, recueillies par des organisations locales et internationales telles que Women’s Initiatives for Gender Justice, que des viols et d’autres formes de violence sexuelle sont commis dans la région de l’Ituri à l’est de la RDC.[8] Dans le cadre de déclarations faites avant et au moment d’ouvrir une enquête sur la situation en RDC, le Procureur a fait plusieurs allusions à des actes de violence à motivation sexiste commis par des groupes de miliciens dont Lubanga était le commandant présumé.[9] Dès le début de l’enquête, Women’s Initiatives a milité pour que le Bureau du Procureur mène des enquêtes et porte des accusations relatives aux crimes basés sur le genre dans la situation en RDC et dans l’affaire contre Lubanga. Cependant, le mandat d’arrêt délivré à l’encontre de Lubanga par le Procureur n’a inclus aucune accusation de crime basés sur le genre.[10] Le 16 août 2006, Women’s Initiatives a fait parvenir une lettre et un rapport confidentiels au Bureau du Procureur insistant sur le fait que les crimes basés sur le genre n’avaient pas reçus une attention suffisante dans l’affaire Lubanga et invitant le Procureur à enquêter davantage. Le rapport confidentiel a fourni au Procureur des renseignements relatifs à 55 entretiens avec des victimes/survivantes de viol et de violence sexuelle. De ce nombre, 31 entrevues ont été réalisées avec des victimes/survivantes de viol et de violence sexuelle commise par l’UPC.[11] La lettre a aussi insisté sur le fait que les chefs d’accusation choisis par le Procureur auraient des conséquences importantes sur l’étendue des victimes qui seraient autorisées à participer aux procédures. Le 7 septembre 2006, Women’s Initiatives est devenue la première ONG à soumettre des observations devant la Cour, au sujet de l’absence d’accusations de crimes basés sur le genre dans l’affaire Lubanga.[12] Aucun nouveau chef d’accusation n’a toutefois été ajouté et ces accusations restreintes sont les seules à avoir été maintenues lors des procédures de confirmation des charges et durant le procès.[13] Malgré l’absence d’accusations de crimes basés sur le genre dans l’affaire contre Lubanga, de nombreux éléments de preuve de violence sexuelle ont été présentés au cours des procédures. Durant sa déclaration d’ouverture en janvier 2009, l’Accusation a décrit l’utilisation de viols lors des recrutements, mentionnant que les enfants-soldats étaient encouragés à violer des femmes dans le cadre de leur formation et que leurs commandants les envoyaient chercher des femmes pour les ramener au camp.[14] Des fillettes soldats, parfois âgées d’à peine 12 ans, « étaient quotidiennement les victimes de viols par les commandants » et « étaient utilisées comme cuisinières ou combattantes, comme femmes de ménage, espionnes, comme des esclaves sexuelles ou des éclaireurs ». Le Procureur a aussi reconnu les multiples rôles des filles soldats et il a aussi souligné que la violence sexuelle faisait partie de leur vie quotidienne : « [u]ne minute, elles portaient une arme, la minute suivante elles servaient les repas aux commandants, et la minute encore les commandants les violaient. Elles étaient tuées si elles refusaient d'être violées ».[15] Une représentante légale des victimes, incluant une ancienne fillette soldat, a confirmé ces faits lors de sa déclaration d’ouverture, affirmant que « les viols ont commencé dès leur enlèvement et ont continué tout au long du temps qu'elles ont passé avec l'UPC. Ils ont même été plus intenses au cours de la période initiale de l'enlèvement, et dans les camps d'entraînement où elles ont été formées pour devenir soldats de la milice ».[16] La Chambre de première instance a aussi entendu un nombre important de témoignages directs traitant de violence sexuelle de la part de témoins de l’Accusation.[17] Même si ces témoignages n’ont pas tous été retenus par la Chambre lorsqu’elle a condamné Lubanga, les crimes décrits sont exemplaires des expériences subies par les filles soldats au sein de l’UPC. Parmi les témoins de l’Accusation convoqués par la Chambre, le témoin 38 a décrit les rôles assumés par les filles dans les camps, affirmant qu’elles étaient exploitées sexuellement par les commandants.[18] Le témoin 299 a déclaré que : « le travail d’une femme PMF [une fille soldat] était de prendre la mallette du commandant. Elle avait aussi un autre travail parce qu’elle était la femme du commandant ».[19] Le témoin 7 a confirmé qu’il « y avait des commandants qui prenaient des filles recrues et qui leur disaient : “[a]ujourd’hui, vous allez venir dormir, coucher avec moi”, et ces dernières ne pouvaient pas refuser.[20] Dans sa réponse aux questions de la juge Odio Benito relatives aux violences sexuelles commises contre des filles soldats durant la phase de formation initiale, le témoin 16 a confirmé que « [p]ar crainte d’y être dans le centre pour la première fois, les instructeurs et autres gardes du centre profitaient de cette occasion, violaient les recrues ».[2][21] Le témoin 89 a aussi affirmé que viols et la violence sexuelle contre les filles soldats étaient fréquents. Il a témoigné qu’« il y avait des commandants qui prenaient des filles comme femmes qui les engrossaient et ces filles‐là étaient obligées de quitter le camp pour aller au village ». Il a déclaré que lorsqu’une fille était « appelée par un commandant, elle [était] obligée de l’accepter ».[22] Sur la base de déclarations de témoins de l’Accusation, les représentants légaux des victimes, agissant à la demande des victimes participant aux procédures, ont tenté de porter de nouvelles accusations contre Lubanga, en particulier pour crimes basés sur le genre. En mai 2009, les représentants légaux ont conjointement recommandé à la Chambre de première instance de modifier la qualification juridique des faits du conflit conformément à la norme 55 du Règlement de la Cour,[23] pour y ajouter les crimes d’esclavage sexuel et de traitement inhumain et cruel à la qualification actuelle.[24] Dans leurs observations, ils ont souligné que les éléments de preuve et les déclarations des témoins dans l’affaire étaient suffisants pour porter de nouvelles accusations d’esclavage sexuel et de traitement inhumain et cruel de recrues, incluant des recrues qui seraient tombées enceintes à la suite d’un viol. Même si une opinion majoritaire[25] a estimé que la norme 55 autorisait la Chambre de première instance à modifier la qualification juridique des faits du conflit pour y inclure des faits et des circonstances qui ne figuraient dans les chefs d’accusations d’origine, la Chambre d’appel a infirmé la décision pour des raisons de procédure. La Chambre d’appel a conclu que les « dispositions 2) et 3) de la norme 55 du Règlement de la Cour ne doivent pas être utilisées pour aller au-delà des faits et des circonstances décrits dans les charges et dans toute modification apportée à celles-ci».[26] Références à la violence sexuelle dans le jugementCompte tenu de la non-inclusion d’amendements aux accusations et de la tentative infructueuse des représentants légaux des victimes en ce qui concerne la norme 55, les crimes basés sur le genre n’ont pratiquement pas été mentionnés dans la décision finale. La Chambre de première instance a estimé qu’en raison de l’omission d’allégations factuelles de violences sexuelles dans le document contenant les chefs d’accusation, et par conséquent leur exclusion de la décision sur la confirmation, la Chambre de première instance n’a pas été en mesure de considérer les allégations de violence sexuelle dans son jugement. Elle a donc restreint son examen des éléments de preuve, car « l’Accusation n’ayant inclus dans les charges aucune allégation de violences sexuelles […], les témoignages ne doivent pas être pris en compte au moment de statuer en application de l’article 74, si ce n’est comme éléments permettant de replacer les choses dans un contexte ».[27] La Chambre « n’a donc fait aucune constatation à cet égard, en particulier quant à la question de l’imputabilité des crimes en question à l’accusé ».[28] Ce faisant, elle a reconnu les droits de l’accusé d’être informé de façon détaillée des accusations contre lui en vertu de l’article 67(1)(a) du Statut. Même si la Chambre n’a pas tenu compte des preuves de violence sexuelle en déterminant la responsabilité de l’accusé, comme nous le verrons plus en détail ci-dessous, elle a néanmoins statué qu’au « moment venu, la Chambre examinera la question de savoir si ces aspects devraient être pris en considération aux fins de la fixation de la peine et des réparations ».[29] La formulation des crimes par la Chambre de première instanceThomas Lubanga a été condamné pour trois crimes de guerre distincts, soit la conscription et l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et les avoir utilisés pour participer activement à des hostilités.[30] Depuis 2008, en se basant sur sa documentation et ses analyses, Women’s Initiatives for Gender Justice a milité pour que la violence sexuelle soit une partie intégrante de chacun des trois crimes pour lesquels Lubanga a été accusé et condamné. La violence sexuelle est souvent utilisée contre les enfants soldats, en particulier les filles soldats, pour des raisons de pouvoir, de propriété et pour rompre les liens avec la vie que ces enfants menaient avant leur enlèvement.[31] Cet avis a aussi partagé lors du témoignage de l’experte Radhika Coomaraswamy, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés. Cette dernière a souligné que les filles recrutées par les groupes armés jouent des rôles multiples incluant le combat, le transport de différents éléments, servir d’éclaireur, en plus de l’esclavage sexuel et des mariages forcés. La Représentante Coomaraswamy a demandé à la Chambre de considérer « tous les abus qui sont commis à l’encontre des jeunes filles lorsqu’elles sont associées à ces groupes armés, une fois qu’elles ont été enrôlées ou conscrites. Et il n’y a pas que ceux qui sont directement impliqués dans les combats directs ».[32] Elle a ajouté que même s’« il y en a qui sont simplement des combattants, il y en a qui [ne] seront que des esclaves sexuels. Ils ont tous été recrutés dans ces groupes ».[33] Dans le cadre du plaidoyer final de l’Accusation, Fatou Bensouda, procureur adjoint, a rappelé à la Chambre qu’en plus d’accomplir les mêmes tâches que les garçons soldats, les filles soldats étaient l’objet d’abus particuliers, étant notamment violées par d’autres soldats. Elle a maintenu que l’enrôlement et la conscription d’enfants de moins de 15 ans comprennent « tous les actes dont ont souffert les enfants au cours de leur formation et au cours de la période pendant [laquelle] on les a forcés à être soldats. Cette interprétation est particulièrement pertinente pour comprendre le crime sexuel — la partie très importante, cruciale, du recrutement des jeunes filles ».[34] Mme Bensouda a demandé à la Chambre de dire clairement que ces jeunes filles avaient été mariées de force et qu’elles n’étaient pas des femmes de commandants, mais plutôt des victimes de recrutement qui devaient être tout particulièrement protégées par les programmes de démobilisation et par la CPI.[35] Dans son jugement, la Chambre de première instance n’a toutefois pas traité explicitement de violence sexuelle dans la formulation des crimes de conscription, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants soldats. Au début de son analyse des constatations de droit, la Chambre de première instance a brièvement examiné la jurisprudence pertinente, incluant celle du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, pour conclure que les crimes de conscription et d’enrôlement constituaient une violation de la protection des enfants vulnérables en vertu du Statut de Rome, et pour déterminer que les enfants de moins de 15 ans ne pouvaient pas consentir à aucune forme de recrutement.[36] L’analyse des constatations de droit de la Chambre a été principalement axée sur l’interprétation correcte devant être donnée au crime de l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour les faire participer activement à des hostilités.[37] En tenant compte des dispositions pertinentes du Statut et des Éléments des crimes, ainsi que de la jurisprudence pénale internationale antérieure sur cette question, la Chambre a convenu que la « participation active » devrait être définie ainsi : La participation active aux hostilités concerne une grande variété d’enfants, de ceux qui se trouvent sur la ligne de front (prenant une part directe aux combats) aux garçons ou filles qui assument une multitude de rôles d’appui aux combattants. Qu’elles relèvent d’une participation directe ou indirecte, toutes ces activités présentent une caractéristique fondamentale commune : l’enfant constitue, à tout le moins, une cible potentielle. Par conséquent, pour décider si un rôle « indirect » doit être considéré comme une participation active aux hostilités, il est crucial de déterminer si l’appui apporté par l’enfant aux combattants l’a exposé à un danger réel, faisant de lui une cible potentielle. De l’avis de la Chambre, la conjonction de ces éléments — l’appui apporté par l’enfant et l’exposition conséquente de celui-ci à pareil niveau de risque — signifie que bien qu’absent du lieu même des hostilités, l’enfant a tout de même participé activement à celles-ci. Compte tenu des différents types de rôles que peuvent assumer les enfants utilisés par les groupes armés, ce n’est qu’au cas par cas que la Chambre peut déterminer si une activité particulière relève de la « participation active ».[38] La Chambre n’a pas rendu de décision juridique définitive déterminant si la violence sexuelle pouvait ou devait relever de crimes distincts. En fait, elle a expressément laissé la question ouverte.[39] La Chambre a toutefois cité à la fois les observations écrites et le témoignage en cour du témoin expert Coomaraswamy, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés, qui a fait remarquer que « l’utilisation par des forces et des groupes armés de garçons et de filles à des fins sexuelles constitue “une fonction d’appui essentielle” ».[40] La Chambre a aussi affirmé que « Mme Coomaraswamy a utilement éclairé le contexte, en montrant qu’en pareils cas, les enfants accomplissent une multitude de tâches qui ne relèvent pas forcément de la guerre au sens traditionnel du terme », ce qui les expose à des risques tels que « le viol, l’esclavage sexuel et d’autres formes de violence sexuelle ».[41] Opinion individuelle et dissidente de la juge Odio BenitoDans une opinion individuelle et dissidente, la juge Odio Benito a différé des conclusions de la majorité au sujet de plusieurs questions, incluant la violence sexuelle relativement au concept de l’enrôlement, de la conscription et de l’utilisation d’enfants soldats. La juge Odio Benito a estimé que l’interdiction de recruter des enfants de moins de 15 ans devrait s’appliquer à tous les types de groupes armés, et ce, peu importe la nature du conflit armé, qu’il soit national ou international. Elle a aussi soutenu que l’échec de la majorité à veiller à ce que la violence sexuelle soit incluse dans le concept d’« utilisation pour les faire participer activement à des hostilités » avait rendu cet aspect du crime invisible. La juge Odio Benito a affirmé que les violences sexuelles sont inhérentes à l’utilisation d’enfants soldats. Selon elle, « les violences sexuelles subies par les enfants dans les groupes armés causent des dommages irréparables et découlent directement de l’appartenance de ces enfants à ces groupes ».[42] Elle a ajouté que « les violences sexuelles sont un élément intrinsèque du comportement criminel consistant à “utiliser des enfants pour les faire participer activement à des hostilités” ».[43] Elle a également insisté sur l’impact différent et disparate de la violence sexuelle sur les filles soldats. La juge a expliqué que : « [l]es violences sexuelles et l’esclavage sexuel sont commis pour l’essentiel contre des jeunes filles et le recrutement illégal de celles-ci se fait souvent dans cet objectif ».[44] Elle a aussi mis l’accent sur les différentes expériences et conséquences pour les filles et les garçons soldats, notant « des conséquences sexospécifiques pour les jeunes filles, qui courent des risques de grossesse non désirée débouchant souvent sur la mort de la mère ou de l’enfant, de maladie, de contamination par le VIH, de traumatisme psychologique et de rejet social ».[45] La juge Odio Benito a ajouté que la définition du concept de « risque » devrait être élargie, en insistant clairement sur les questions relatives au genre. Elle a précisé que les risques pouvaient non seulement provenir des groupes ennemis, mais aussi de leur propre groupe armé, celui qui les a recrutés.[46] À ce sujet, elle a souligné que : Les enfants sont protégés contre le recrutement non seulement parce qu’ils peuvent être mis en danger en tant que cibles potentielles pour l’« ennemi », mais aussi parce qu’ils courent un risque en raison de leur « propre » groupe armé, celui qui les a recrutés et les soumettra à des formations brutales, des tortures, des mauvais traitements, des violences sexuelles et autres activités et conditions de vie incompatibles avec leurs droits fondamentaux et contraires à ceux-ci. Inévitablement, les risques auxquels sont exposés les enfants victimes d’enrôlement, de conscription ou d’utilisation par un groupe armé, proviennent aussi du même groupe armé.[47] Ainsi, la juge Odio Benito est d’avis que l’approche de la majorité était discriminatoire, car elle ne tient pas compte de toute l’étendue des violations des droits humains conformément à l’article 21(3).[48] Selon elle : Il est discriminatoire d’exclure de la définition les violences sexuelles, qui, par rapport au fait d’être garde du corps ou porteur, tâches pour l’essentiel attribuées à de jeunes garçons, révèlent clairement une différence d’impact selon le sexe. L’utilisation du corps de jeunes filles et de jeunes garçons par des combattants appartenant ou non au groupe est un crime de guerre et à ce titre, elle est inscrite dans les charges portées contre l’accusé.[49] La juge Benito a affirmé que la majorité « sembl[ait] toutefois confondre les faits de l’espèce avec la définition juridique du crime ».[50] À son avis, la Chambre « a la responsabilité de définir les crimes sur la base du droit applicable, sans se limiter aux charges portées par l’Accusation contre l’accusé ».[51] Elle a déclaré : J’estime que la Majorité ne s’est préoccupée que d’un seul des objectifs d’un procès devant la CPI : déterminer la culpabilité ou l’innocence d’un accusé. Un procès devant la CPI devrait toutefois porter également sur le préjudice subi par les victimes du fait des crimes relevant de la compétence de la Cour. Il importe peu, par conséquent, que l’Accusation ait présenté les charges sous forme de crimes distincts ou comme faisant à bon droit partie intégrante des crimes reprochés à Thomas Lubanga. Le préjudice subi par les victimes n’est pas une notion réservée aux seules procédures en réparation, il devrait constituer un aspect fondamental de l’appréciation par la Chambre des crimes commis.[52] Même si la déclaration de la juge Odio Benito conçoit un rôle dans le cadre duquel les juges pourraient interpréter les crimes nonobstant les accusations portées par le Procureur, la durée et la complexité de l’historique de la procédure contre Lubanga montrent les obstacles et les difficultés liés à l’inclusion de crimes basés sur le genre lorsqu’ils surviennent tardivement durant les procédures, que ce soit par l’utilisation de la norme 55 ou par interprétation judiciaire. Le jugement, qui insiste en effet sur l’importance que de tels crimes soient inclus dans la Décision de confirmation des charges afin d’être considérés dans le jugement du procès, souligne l’importance de traiter de la violence basés sur le genre dès les premiers stades des procédures, soit les phases de l’enquête et des accusations, par le Procureur. Conséquences pour les réparationsLa Chambre a explicitement reporté toute décision visant à déterminer si les éléments de preuve de violence sexuelle « devraient être pris en considération aux fins de la fixation de la peine et des réparations ».[53] À un stade antérieur des procédures, l’Accusation avait déclaré que la violence sexuelle devrait être prise en considération lors de la fixation de la peine.[54] Il n’est toutefois pas certain si la violence sexuelle peut être considérée comme un facteur aggravant aux fins de la fixation de la peine en vertu du cadre statutaire.[55] En ce qui concerne les réparations, en réponse à une requête formulée par la Chambre, le Greffe a déposé un dossier[56] qui traitait spécifiquement de la violence sexuelle comme d’un préjudice résultant de la conscription d’enfants.[57] Dans la section introduisant la nature des accusations, le Greffe a souligné qu’en raison de la conscription, des enfants soldats [Traduction] « peuvent aussi avoir subi des violences sexuelles. Dans certains cas, des filles peuvent avoir eu un enfant à la suite d’un viol et, par conséquent, avoir été stigmatisées ».[58] Le Fonds au profit des victimes a également reconnu qu’il y avait une prédominance de crimes basés sur le genre contre les enfants soldats dans son premier rapport sur les réparations, dans lequel il a souligné que de nombreux cas de violence sexuelle avaient été commis contre les filles et les garçons soldats lors de leur conscription, de leur enrôlement et/ou de leur participation.[59] Le Fonds a aussi noté durant des entretiens qu’il a réalisé en 2010 avec d’anciens enfants soldats qui ont bénéficié de ses projets d’assistance, que plus de 48 % des anciens enfants soldats (desquels 66,7 % étaient des filles et 32,2 % étaient des garçons) avaient déclaré avoir subi des violences sexuelles et que 35 % des anciens garçons soldats avaient admis avoir été forcés à commettre des violences sexuelles.[60] Dans une ordonnance portant calendrier du 14 mars 2012 sur la fixation des peines et des réparations, la Chambre de première instance a invité les autres individus et parties intéressés à demander l’autorisation de participer à cette phase des procédures. Comme nous le verrons ci-dessous, l’organisation Women’s Initiatives for Gender Justice a obtenu l’autorisation de participer aux procédures en réparation le 20 avril 2012. ■ Lire le Jugement de la Chambre de première instance du 14 mars [http://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc1462060.pdf] ■ Lire l’Opinion individuelle et dissidente de la juge Odio Benito [http://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc1462060.pdf] p 665-686 ■ Lire les réactions de nos partenaires de la RDC sur la condamnation de Lubanga dans Women’s Voices eLetter, avril 2012 (en anglais) [http://www.iccwomen.org/WI-WomVoices4-12-FULL/WomVoices4-12.html#1] ■ Lire les observations présentées par Women’s Initiatives dans le cadre de l’affaire Lubanga (en anglais) [http://www.iccwomen.org/publications/articles/docs/LegalFilings-web-2-10.pdf] RDC :: Women’s Initiatives obtient l’autorisation de participer aux procédures en réparation dans l’affaire LubangaMême si le Statut de Rome établit un cadre relatif aux réparations,[61] l’affaire Lubanga demeure la première occasion où une Chambre de première instance de la CPI entreprend des procédures en réparation. À la suite de la condamnation de Lubanga le 14 mars 2012, la Chambre de première instance I a émis une « Ordonnance portant calendrier concernant la fixation de la peine et des réparations ».[62] Dans son ordonnance portant calendrier, la Chambre de première instance a invité les parties et les participants, ainsi que le Greffe et le Fonds au profit des victimes à déposer leurs observations sur « a) les principes que la Chambre devrait appliquer pour fixer les réparations, et b) la procédure [que la Chambre] devrait suivre ».[63] La Chambre de première instance a aussi invité d’autres individus et parties intéressés à demander l’autorisation de présenter des observations sur ces questions.[64] Le 28 mars 2012, à la suite de cette invitation, Women’s Initiatives for Gender Justice a déposé une requête pour obtenir l’autorisation de participer aux procédures en réparation.[65] Il s’agissait de la quatrième fois que Women’s Initiatives demandait l’autorisation de présenter des observations devant la CPI.[66] Le 20 avril 2012, la Chambre de première instance I a rendu une décision autorisant la soumission de requêtes lors des procédures en réparation,[67] dans laquelle elle autorisait les organisations Women’s Initiatives for Gender Justice et International Center for Transitional Justice, la Fondation Congolaise pour la Promotion des Droits humains et la Paix, et Avocats sans frontières (conjointement avec quatre autres ONG congolaises) à présenter des observations écrites relatives aux procédures en réparation dans l’affaire Lubanga d’ici au 10 mai 2012. L’organisation Women’s Initiatives a demandé l’autorisation de traiter de deux sujets concernant la Chambre, notamment : (i) si les réparations devraient être accordées à titre collectif ou individuel ; et (ii) selon la décision relative au type de réparations (individuel, collectif ou les deux), à qui les réparations devraient être destinées ; comme évaluer les préjudices ; et les critères à appliquer en accordant les réparations. En particulier, Women’s Initiatives a proposé d’assister la Chambre en fournissant des observations sur ces questions selon une dimension de genre, incluant des modalités pour établir des programmes de réparations qui tiennent compte des filles et des femmes. Dans sa requête, Women’s Initiatives for Gender Justice a affirmé que l’inclusion des préjudices relatifs aux crimes basés sur le genre dans l’ordonnance de réparations demeurait [Traduction] « cohérente avec l’approche de la Chambre durant la phase des réparations de cette affaire ».[68] Comme cela a été décrit ci-dessus, dans leurs rapports respectifs présentés à la Chambre en septembre 2011, le Greffe et le Fonds au profit des victimes ont tous les deux aussi expressément reconnu les préjudices causés par les violences sexuelles aux fins des réparations.[69] Dans sa requête, Women’s Initiatives a affirmé que [Traduction] « tout préjudice qui peut raisonnablement être considéré comme une conséquence directe des crimes pour lesquels l’accusé a été condamné pourrait légitimement être inclus dans une ordonnance de réparations ».[70] Cela inclut les nombreux actes de violence sexuelle pour lesquels la Chambre a entendu des témoignages [Traduction] « car ceux-ci proviennent directement des crimes d’enrôlement, de conscription et d’utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour les faire participer activement à des hostilités ».[71] L’organisation Women’s Initiatives a aussi insisté sur la nécessité d’accorder à la fois des réparations collectives et individuelles, soulignant l’importance des réparations collectives.[72] La requête a soutenu que : [Traduction] les réparations collectives, telles que les programmes de réhabilitation offrant un soutien médical et psychosocial aux victimes/survivantes, notamment celles de crimes à motivation sexiste, ou les programmes de réhabilitation sociale et de démobilisation pour les anciens enfants soldats, pouvaient traiter des aspects généraux des préjudices subis par l’ensemble de la communauté ».[73] La requête a précisé que [Traduction] « l’intégration des femmes et des filles dans les consultations sur les réparations est d’une grande importance ».[74] En outre, [Traduction] « les types de crimes qu’ont subis les femmes et les filles, les inégalités de genre qui existaient déjà et sont toujours présentes, et l’accès des femmes et des filles à des services et des programmes de justice et de rétablissement méritent une attention particulière pour veiller à ce qu’une ordonnance de réparations n’ait pas l’effet involontaire de reproduire de discrimination en matière de genre ».[75] À cet égard, Women’s Initiatives a soutenu le rôle potentiel du Fonds au profit des victimes en ce qui concerne l’octroi des réparations, notant qu’une attention particulière devrait être accordée à la sécurité des éventuels bénéficiaires. Finalement, la requête de Women’s Initiatives a traité des critères à appliquer lors de l’octroi des réparations, mentionnant que [Traduction] « le but des réparations devrait être d’obtenir une certaine ou une meilleure qualité de vie pour les victimes/survivantes et pour les générations futures ».[76] Sur cette question, Women’s Initiatives a proposé de considérer : (i) des réparations qui ne sont pas seulement réparatrices, mais aussi transformatrices ; (ii) des réparations qui traitent des inégalités en matière de genre qui existent actuellement au sein des communautés ; (iii) des réparations qui contribuent à l’avancement de l’égalité des sexes par l’intermédiaire des types de programmes financés et du type de soutien offert aux communautés des victimes.[77] ■ Lire la demande d’autorisation de participer aux procédures en réparation de Women's Initiatives for Gender Justice (en anglais) ■ Lire la décision autorisant l’organisation Women’s Initiatives for Gender Justice à participer aux procédures en réparation (en anglais) ■ Lire les observations présentées à la CPI par l’organisation Women’s Initiatives (en anglais) |
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1 ICC-01/04-01/06-2842tFRA. |
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