Août 2013 |
||||
Bienvenue à |
||||
|
||||
Women’s Initiatives for Gender Justice est une organisation internationale de défense des droits des femmes militant pour la justice pour les femmes, comprenant l’inclusion des crimes basés sur le genre, dans les enquêtes et les poursuites judiciaires de la Cour pénale internationale (CPI) et dans les mécanismes nationaux, y compris les négociations de paix et les processus de justice. Nous travaillons avec les femmes plus touchées par les situations de conflit qui font l’objet d’une enquête de la CPI. Women’s Initiatives for Gender Justice a des programmes en Ouganda, en RDC, au Soudan, en République centrafricaine, au Kenya, en Libye et au Kirghizistan. Bureaux |
Chères amies, chers amis,Bienvenue au numéro d'août 2013 de Panorama légal de la CPI, le bulletin juridique régulier de Women's Initiatives for Gender Justice. Dans Panorama légal, vous trouverez des résumés et des analyses de genre portant sur les dernières décisions judiciaires et autres développements légaux au sein de la Cour pénale internationale (CPI). Vous pourrez également consulter des discussions sur des questions juridiques découlant de la participation des victimes devant la Cour, notamment lorsque ces questions se rapportent à des accusations de crimes basés sur le genre, et ce, pour chacune des situations faisant l’objet d’une enquête de la CPI. La Cour enquête actuellement sur des situations se déroulant dans huit pays, soit en Ouganda, en République démocratique du Congo (RDC), au Darfour (Soudan), en République centrafricaine (RCA), au Kenya, en Libye, en Côte d'Ivoire et au Mali. En plus de Panorama légal de la CPI, nous produisons également Voix des Femmes, une lettre d’information régulière fournissant des mises à jour et des analyses sur les derniers développements politiques, la poursuite de la justice et la responsabilité pénale, la participation des femmes aux pourparlers de paix et aux efforts de réconciliation, du point de vue de militants pour les droits des femmes qui se trouvent dans des situations de conflits armés, notamment ceux faisant l’objet d’enquêtes de la CPI. Pour de plus amples renseignements sur le travail de Women’s Initiatives for Gender Justice ou pour consulter des versions antérieures de Voix des femmes et de Panorama légal de la CPI, veuillez visiter notre site web www.iccwomen.org. Kenya :: La Chambre de première instance V rejette la demande de Kenyatta de soumettre l’affaire à la Chambre préliminaireLe 5 février 2013, la Défense de Uhuru Muigai Kenyatta (Kenyatta) a présenté une demande à la Chambre de première instance en vertu de l’article 64(4) du Statut de Rome[1] pour qu’elle soumette la « question préliminaire »[2] de la décision relative à la confirmation des charges à la Chambre préliminaire afin que cette dernière la reconsidère (demande relative à l’article 64(4)).[3] Le 26 avril 2013, la Chambre de première instance V[4] a rendu une décision rejetant la demande de la Défense, tout en réprimandant l’Accusation pour « ne pas avoir soumis l’affidavit en temps opportun à la Défense » et l’ordonnant de procéder à un examen de son dossier, puis de certifier qu’elle avait examiné tous les documents à sa disposition d’ici au 21 mai 2013.[5] La décision de la Chambre rejetant la demande de la Défense ainsi que les opinions individuelles et concordantes seront analysées en détail ci-dessous. ContexteKenyatta, qui a d’abord été accusé conjointement avec Mohammed Hussein Ali (Ali) et Francis Kirimi Muthaura (Muthaura), est un des six suspects à avoir été accusés par la CPI dans le cadre de son enquête sur la situation au Kenya. Cette situation fait l’objet d’une enquête de la CPI depuis que la Chambre préliminaire II a autorisé, en mars 2010, la demande du Procureur Moreno-Ocampo d’ouvrir une enquête en vertu de l’article 15 du Statut de Rome sur les violences postélectorales de 2007-08 au Kenya.[6] En mars 2011, après avoir reçu une demande du Bureau du Procureur datant de décembre 2010, la Chambre préliminaire a délivré des citations à comparaître à l’encontre de six suspects dans le cadre de deux affaires. À l’origine, la première affaire concernait trois suspects qui étaient membres du Mouvement démocratique orange lors des crimes présumés, soit William Samoei Ruto (Ruto), Joshua Arap Sang (Sang) et Henry Kiprono Kosgey (Kosgey). La deuxième affaire a d’abord concerné trois suspects qui, au moment des crimes présumés, étaient membres du Parti de l'unité nationale, soit Muthaura, Kenyatta et Ali. En janvier 2012, la Chambre préliminaire II a confirmé les chefs d’accusation contre Ruto, Sang, Muthaura et Kenyatta, mais elle a refusé de confirmer ceux à l’encontre de Kosgey et Ali.[7] La Chambre préliminaire a confirmé les chefs d’accusations à l’encontre de Muthaura et Kenyatta en tant que coauteurs indirects, conformément à l’article 25(3)(a), pour les crimes contre l’humanité de meurtre, déportation ou transfert forcé de population, viol, persécution et autres actes inhumains.[8] Cependant, comme le décrit en détail le numéro de juin 2013 de Panorama légal de la CPI, le Procureur a retiré les chefs d’accusation à l’encontre de Muthaura en mars 2013.[9] La Chambre préliminaire a confirmé les chefs d’accusation à l’encontre de Ruto, en tant que coauteur indirect conformément à l’article 25(3)(a), et Sang pour avoir contribué de toute autre manière à la commission de crimes au sens de l’article 25(3)(d), et ce, pour trois chefs de crimes contre l’humanité : meurtre, déportation ou transfert forcé de population et persécution.[10] Plusieurs rapports d’organisations internationales, des autorités nationales du Kenya et de groupes de la société civile concernant des actes de violence sexuelle commis dans le contexte des violences postélectorales ont été inclus dans les documents présentés par le Procureur dans sa demande d’autorisation d’ouvrir une enquête.[11] Le Procureur a demandé à ce que des accusations de crimes basés sur le genre soient portées dans une des deux affaires kényanes, soit dans le cadre de l’affaire contre Muthaura et Kenyatta. En plus des accusations de viol, l’Accusation avait présenté des éléments de preuve de circoncision forcée et d’amputation du pénis pour étayer le chef d’accusation d’« autres formes de violence sexuelle ». Cependant, la Chambre a requalifié ces éléments de preuve d’« autres actes inhumains », à la fois dans la décision de délivrer des citations à comparaître et dans la décision de confirmation des charges, car elle a estimé que : « les éléments de preuve qui lui ont été présentés ne démontrent pas la nature sexuelle des actes de circoncision forcée et d’amputation du pénis qu’ont subi les hommes luo ».[12] De plus, la Chambre a affirmé que « tous les actes de violence qui visent une partie du corps fréquemment associée avec la sexualité ne devraient pas nécessairement être considérés comme des actes de violence sexuelle ».[13] Comme l’a souligné l’organisation Women’s Initiatives for Gender Justice au moment de la décision, en requalifiant les actes de circoncision forcée et d’amputation du pénis en tant qu’autres actes inhumains, la Chambre préliminaire semble avoir négligé le contexte plus large de ces crimes, ainsi que l’intention et le but de ces actes : Ces actes constituent une forme de violence sexuelle en raison de la force utilisée et de l'environnement coercitif, ainsi que de l'intention et du but de ces actes. [...] La circoncision forcée d’hommes luo revêt une signification à la fois politique et ethnique au Kenya et a donc une signification particulière. Dans ce cas, elle se voulait l'expression d'une domination politique et ethnique d'un groupe sur l'autre et était destinée à diminuer l'identité culturelle des hommes luo.[14] La décision de la Chambre de première instance sur la demande relative à l’article 64(4)Dans sa demande de février 2013, la Défense de Kenyatta a soutenu qu’afin de garantir le fonctionnement équitable et efficace des procédures et de maintenir l’intégrité de la Cour, il était nécessaire que la Chambre de première instance soumette la décision relative à la confirmation des charges à la Chambre préliminaire afin que cette dernière la reconsidère.[15] Pour étayer sa demande, la Défense a cité différentes raisons qui seront examinées ci-dessous, y compris le fait que l’Accusation n’aurait pas soumis un affidavit potentiellement disculpatoire. Dans sa décision du 26 avril 2013 rejetant la demande, la Chambre de première instance a souligné que, dans sa requête initiale relative à l’article 64(4), la Défense avait seulement demandé que la décision relative à la confirmation des charges soit soumise à la Chambre préliminaire afin que cette dernière la reconsidère, mais que dans ses requêtes ultérieures la Défense avait « élargi » le recours qu’elle demandait.[16] Par conséquent, la Chambre a fait remarquer que la principale requête de la Défense visait une ordonnance pour mettre fin aux procédures contre Kenyatta, alors qu’elle avait demandé, à titre subsidiaire, à ce que la Chambre ordonne une suspension des procédures ou qu’elle soumette la décision relative à la confirmation des charges à la Chambre préliminaire afin que cette dernière la reconsidère.[17] En outre, la Chambre a souligné que la Défense avait demandé que l’Accusation soit réprimandée pour ne pas avoir soumis des éléments de preuve potentiellement disculpatoires.[18] La Chambre a rappelé que, pour soutenir ses demandes, la Défense avait soulevé « quatre questions différentes, mais interreliées » : (1) « La manière dont s’est comportée l’Accusation en ce qui concerne la non-soumission, avant l’audience de confirmation des charges, de l’affidavit du témoin 4 et d’autres documents (question 1) » ; (2) « La validité de la décision relative à la confirmation des charges en raison de “carences” dans les éléments de preuve de l’Accusation, y compris le manque allégué de crédibilité des témoins (question 2) » ; (3) « Les “nouvelles allégations radicalement modifiées” à l’encontre de l’accusé à la suite du retrait du témoin 4 de la liste des témoins de l’Accusation et le recours de cette dernière à un grand nombre de nouveaux éléments de preuve recueillis après l’audience de confirmation des charges (question 3) » ; (4) « L’impact du retrait des charges à l’encontre de Muthaura dans l’affaire contre Kenyatta (question 4) ».[19] Question 1 : L’Accusation n’a pas soumis l’affidavit du témoin 4Tel que cela a été examiné en détail dans l’édition de juin 2013 de Panorama légal de la CPI, le témoin 4, un important témoin de l’Accusation dans l’affaire contre Muthaura et Kenyatta, « a rétracté une importante partie de ses éléments de preuve incriminants après que la décision relative à la confirmation des charges ait été rendue et a admis avoir accepté des pots-de-vin de personnes qui se seraient fait passer pour des représentants des deux accusés ».[20] La Défense avait affirmé que la décision relative à la confirmation des charges était manifestement mal fondée parce que l’Accusation ne lui avait pas soumis l’affidavit.[21] La Chambre a fait remarquer que les parties ne contestaient pas que l’affidavit du témoin 4, qui a été reçu par l’Accusation le 27 septembre 2010, mais a seulement été soumis à la Défense après la décision relative à la confirmation des charges, le 19 octobre 2012, contenait des informations qui « auraient pu affecter la crédibilité des éléments de preuve de l’Accusation et, par conséquent, aurait dû être soumis en entier ou en partie avant l’audience de confirmation des charges ».[22] La Chambre a ajouté que les parties ne contestaient pas que la majorité des documents additionnels liés au premier contact de l’Accusation avec le témoin 4, qui n’ont pas été remis à la Défense avant le 11 avril 2013, auraient dû être soumis avant l’audience de confirmation des charges, conformément à l’article 67(2) du Statut.[23] Même si la Chambre n’a pas trouvé de motifs de croire que la Défense avait raison de soutenir que « les membres de l’Accusation ont délibérément tenté de dissimuler l’affidavit de la Défense jusqu’à ce que la Chambre ait rendu sa décision relative à la confirmation des charges », elle a notamment souligné qu’en considérant les observations des parties « il est évident que l’Accusation a commis une grave erreur lorsqu’elle a incorrectement classé l’affidavit »,[24] et que cette erreur « s’était produite en raison d’un système d’évaluation déficient (à l’époque) au sein de l’Accusation où—apparemment—des personnes qui ne connaissaient pas l’état général des éléments de preuve contre l’accusé, ou au minimum l’ensemble des éléments de preuve fournis par le témoin concerné, ont examiné l’affidavit ».[25] Par conséquent, la Chambre a conclu que « la conduite de l’Accusation qui n’a pas soumis l’affidavit et d’autres documents concernant le témoin 4 est une sérieuse source de préoccupation, à la fois en ce qui a trait à l’intégrité des procédures et aux droits de [Kenyatta] ».[26] Cependant, la Chambre a insisté sur le fait que le témoin 4 n’était plus un témoin de l’Accusation et que la Défense aurait « l’occasion de mettre en doute la crédibilité des autres éléments de preuve sur lesquels l’Accusation s’est fondée lors de l’audience de confirmation des charges pour corroborer la déposition du témoin 4 ».[27] La Chambre a aussi souligné qu’il n’y « a pas de données probantes permettant de conclure que l’Accusation a agi de mauvaise foi en ne remettant pas le document », tel que l’affirmait la Défense.[28] Pour ces raisons, la Chambre a estimé qu’il serait « disproportionné de mettre fin aux procédures ou de les suspendre parce que l’Accusation n’a pas soumis le document ». La Chambre n’a pas non plus jugé « nécessaire de soumettre la question à la Chambre préliminaire en vertu de l’article 64(4), car la question était survenue à un moment où la Chambre était responsable de la conduite des procédures et qu’elle possédait les compétences nécessaires pour la résoudre ».[29] Elle a plutôt conclu que « la mesure appropriée est que la Chambre réprimande l’Accusation pour sa conduite et lui demande de procéder à examen complet de son dossier, puis de certifier devant cette Chambre que cela a été fait, afin de garantir que l’Accusation ne possède aucun autre document devant être soumis à la Défense qui n’aurait pas été soumis ». De plus, la Chambre a soutenu que « compte tenu du fait que la non-soumission de l’affidavit par l’Accusation semble avoir été causée par une défaillance des procédures d’évaluation internes, il est raisonnable de s’attendre à ce que l’Accusation effectue les modifications nécessaires à ses procédures internes, si elle ne l’a pas déjà fait ».[30] Question 2 : La validité de la décision relative à la confirmation des chargesEn ce qui concerne la question 2, la Défense avait affirmé que « les éléments de preuve restants, maintenant que l’Accusation a cessé de se fier au témoin 4, n’atteignent pas le seuil minimal requis pour prouver que Kenyatta a commis les crimes tel que stipulé dans les charges ».[31] Selon la Chambre, les observations de la Défense étaient fondées sur les éléments de preuve que la Chambre préliminaire avait considérés lors de la confirmation des charges contre l’accusé et comprenaient une allégation selon laquelle la Chambre préliminaire n’était « pas parvenue à évaluer correctement les éléments de preuve ».[32] Après avoir fait remarquer que de telles observations constituaient une « tentative inacceptable d’inciter la Chambre à envisager un appel de la décision relative à la confirmation des charges » au moyen duquel tous les éléments de preuve présentés lors de la décision de confirmation des charges devraient être réexaminés, la Chambre a mis l’accent sur le fait que seule la Chambre préliminaire pouvait considérer une demande d’interjeter appel de la décision relative à la confirmation des charges et que seule la Chambre d’appel pouvait entendre une telle demande.[33] La Chambre a ajouté qu’« elle n’est pas persuadée que la non-soumission de l’affidavit a eu une influence sensible sur le processus de confirmation des charges », en accord avec l’Accusation et les représentants légaux selon lesquels « les arguments factuels de l’affidavit, les notes relatives aux témoins 4 et 11 et leur crédibilité sur lesquels la Défense s’est basée, plutôt que de se concentrer sur l’impact potentiel de l’affidavit, représentent en majeure partie une objection inacceptable aux conclusions à la Chambre préliminaire dans son ensemble ».[34] Par conséquent, la Chambre ne s’est pas montrée « convaincue que cette question constitue une base suffisante pour suspendre ou mettre fin aux procédures » et elle n’a pas jugé nécessaire « au “fonctionnement équitable et efficace” de la Chambre de soumettre la question à la Chambre préliminaire pour que cette dernière la reconsidère ».[35] Question 3 : Les nouvelles allégations radicalement modifiéesEn ce qui concerne la question 3, la Défense avait fait remarquer que les preuves de l’Accusation contre Kenyatta avaient radicalement changées après la décision relative à la confirmation des charges en raison de « l’inclusion de nouvelles allégations ou encore d’allégations radicalement modifiées après la confirmation des charges » et des éléments de preuve soumis par l’Accusation au cours des semaines qui ont précédé le commencement du procès.[36] À cet égard, la Chambre a estimé que l’Accusation « n’est pas nécessairement obligée de se fonder sur des éléments de preuve identiques à ceux présentés au stade de la confirmation des charges », et qu’il pouvait y avoir « de bonnes raisons pour que l’Accusation substitue, au cours du procès, des éléments de preuve utilisés durant l’audience de confirmation des charges pour étayer ses accusations » par d’autres éléments de preuve, pourvu que les nouvelles preuves soient liées aux mêmes accusations.[37] La Chambre a également noté qu’il n’était pas clair si les observations de la Défense faisaient référence à de nouveaux faits et de nouvelles circonstances, « ou simplement à de nouveaux éléments de preuve servant à soutenir les faits et les circonstances sur lesquels reposent les accusations telles que décrites dans le nouveau [Document de notification des charges (DNC)] ».[38] En supposant que la première hypothèse serait la bonne, la Chambre n’a pas été d’accord avec l’argument de la Défense soutenant que l’Accusation avait substitué des événements clés par d’autres événements qui n’avaient pas été confirmés la Chambre préliminaire, et a ainsi conclu « qu’aucune des allégations avancées par la Défense ne va au-delà des faits et des circonstances décrits dans les charges qui ont été confirmées et apparaissent dans le nouveau DNC ».[39] Par conséquent, la Chambre a estimé que « les carences qui ont été formulées ne satisfont pas aux exigences requises pour suspendre ou mettre fin aux procédures, car elles peuvent être résolues, et elles le seront, au cours du procès ». De plus, elle a rejeté l’argument selon lequel « les événements qui ont eu lieu après la confirmation des charges pourraient justifier que l’affaire soit soumise à la Chambre préliminaire pour que cette dernière la reconsidère », en accord avec l’Accusation et les représentants légaux qui considéraient que « des modifications aux éléments de preuve (par opposition aux charges) au cours de la période entre le stade de la confirmation des charges et le procès ne peuvent pas constituer une base pour obtenir un nouveau processus de confirmation ».[40] Question 4 : L’impact du retrait des charges à l’encontre de Muthaura dans l’affaire contre KenyattaEn ce qui concerne la question 4, la Défense avait affirmé que la décision de l’Accusation de retirer toutes les charges contre Muthaura en mars 2013 — examinée en détail dans le numéro de juin 2013 de Panorama légal de la CPI — « détruit le cadre factuel et juridique du “plan commun” tel que confirmé par la [Chambre préliminaire] » parce que l’Accusation avait affirmé que Kenyatta et Muthaura étaient les « deux seuls principaux auteurs à avoir conçu le plan commun ».[41] La Chambre a toutefois noté que même si la Défense avait obtenu de nombreuses occasions de soumettre des arguments légaux sur cette question, « elle n’a pas présenté d’observations de fond sur les conséquences juridiques du retrait au cours de la conférence de mise en état ou dans ses dépositions ultérieures ».[42] La Chambre a néanmoins examiné la question et souligné que les interrogations concernant le degré de contribution nécessaire à la coaction, le niveau de preuve relatif aux co-auteurs qui ne sont pas accusés, et d’autres questions liées au mode de responsabilité de Kenyatta à titre de coauteur présumé « sont des sujets de première instance ».[43] En outre, la Chambre a conclu qu’à ce stade il était suffisant de noter qu’elle n’était « pas limitée par l’interprétation de l’article 25(3)(a) adoptée par la Chambre préliminaire lors de la décision relative à la confirmation des charges.[44] La Chambre a rejeté la demande de la Défense et décidé qu’à ce stade, il était « nécessaire que l’Accusation fournisse une version actualisée du document de notification des charges qui tiendrait compte du retrait des charges à l’encontre de M. Muthaura ».[45] Enfin, tel que détaillé ci-dessous, la Chambre a demandé à l’Accusation de mettre à jour son mémoire préalable au procès pour inclure ces modifications d’ici au 6 mai 2013.[46] Les observations de la Chambre sur l’ampleur de l’enquête qui a suivi la confirmation des chargesEn plus des quatre questions examinées ci-dessus, la Chambre de première instance a commenté les préoccupations formulées par la Défense en ce qui a trait à la quantité d’éléments de preuve recueillis par l’Accusation après la confirmation des charges. Même si la Chambre a souligné que les enquêtes qui ont eu lieu après la confirmation des charges n’avaient « pas modifié les charges contre l’accusé, ou porté atteinte à l’intégrité des procédures à un tel point qu’un procès équitable n’était plus possible », elle a néanmoins exprimé une inquiétude quant au « volume considérable d’éléments de preuve recueillis par l’Accusation après la confirmation des charges et aux délais de transmission des éléments de preuve pertinents à la Défense ».[47] À cet égard, la Chambre a affirmé que bien qu’elle ne considérait pas que le Statut « interdit au Procureur de mener des enquêtes après la confirmation des charges, elle tient compte de la récente déclaration de la Chambre d’appel, dans l’affaire contre Mbarushimana, selon laquelle l’enquête devrait être “essentiellement terminée” avant l’audience de confirmation des charges ».[48] La Chambre a estimé que tant que l’Accusation continuait de mener des enquêtes après la confirmation des charges dans le but de recueillir des éléments de preuve qu’elle « aurait raisonnablement dû avoir recueillis avant la confirmation », une Chambre de première instance « devrait déterminer la mesure appropriée en se basant sur les circonstances de l’affaire », y compris la possibilité « d’exclure une partie ou la totalité des éléments de preuve ainsi obtenus pour remédier à la conduite de l’Accusation, ainsi que pour éviter tout préjudice potentiel envers l’accusé ».[49] Tout en soutenant que, dans cette affaire, l’Accusation « aurait dû procéder à une enquête plus approfondie avant la confirmation des charges conformément à l’article 54(1)(a) du Statut », la majorité a estimé qu’il était possible que l’Accusation se soit fondée sur la jurisprudence antérieure de la Chambre d’appel, notamment sur une décision rendue par la Chambre d’appel dans le cadre de l’affaire Lubanga en octobre 2006,[50] « sans avoir bénéficié de son élaboration ultérieure dans l’affaire contre Mbarushimana, qui a eu lieu après l’audience de confirmation des charges dans la présente affaire ».[51] La Chambre a aussi ajouté que l’Accusation avait expliqué que ses enquêtes avaient continué après la confirmation des charges en raison de la situation générale en matière de sécurité au Kenya. Même si la Chambre a jugé que cette explication « n’a pas le degré de spécificité attendu, [elle] reconnaît que les circonstances sur le terrain étaient difficiles et pourraient avoir affecté la capacité de l’Accusation de mener une enquête plus approfondie avant la confirmation des charges ».[52] Par conséquent, la Chambre a conclu que « la meilleure solution au préjudice causé à l’accusé est de donner un délai additionnel à la Défense afin qu’elle mène des enquêtes et qu’elle se prépare pour le procès à la lumière des nouveaux éléments de preuve ».[53] La Chambre a soutenu qu’un délai de trois mois après réception de tous les documents était suffisant à la préparation de la Défense et que ce délai devrait servir de référence, mais elle a ajouté qu’« à la lumière des conclusions mentionnées ci-dessus », elle avait décidé de demander à la Défense des observations quant au temps dont elle avait besoin pour se préparer avant de fixer la date finale du procès (conservant dans l’intervalle la date prévue du 9 juillet 2013).[54] En bref, après avoir précisé sa pensée sur les normes requises pour autoriser les différents recours demandés par la Défense,[55] la Chambre a réprimandé l’Accusation pour ne pas avoir soumis l’affidavit en temps opportun à la Défense et a demandé à l’Accusation de procéder à un examen de son dossier, puis de certifier d’ici au 21 mai 2013 qu’elle avait évalué tous les documents à sa disposition. De plus, la Chambre a ordonné à l’Accusation de soumettre une version actualisée du DNC d’ici au 6 mai 2013 et l’a invitée à mettre à jour son mémoire préalable au procès d’ici à la même date. En outre, différant sa décision relative à l’octroi de temps additionnel pour permettre à la Défense de se préparer pour le procès, la Chambre a invité la Défense à soumettre des observations sur cette question d’ici au 13 mai 2013. La Chambre a rejeté les autres questions liées à la demande relative à l’article 64(4). Des versions actualisées du document de notification des charges et du mémoire préalable au procès ont été soumises par l’Accusation le 6 mai 2013.[56] L’opinion individuelle de la juge OzakiLa juge Ozaki a émis une opinion individuelle qui concordait entièrement avec les conclusions de la chambre en ce qui concerne les requêtes de la Défense, mais elle n’a pas été d’accord avec ses collègues quant à l’objection de la Défense sur la validité de la décision relative à la confirmation des charges (question 2), n’estimant pas que celle-ci puisse être considérée comme une « question préliminaire » en vertu de l’article 64(4) du Statut.[57] Plus spécifiquement, la juge Ozaki a soutenu qu’il ne « serait jamais approprié pour la Chambre de soumettre l’affaire à la Chambre préliminaire conformément à l’article 64(4) du Statut afin que cette dernière réexamine la validité des charges », car une Chambre de première instance « n’a pas la compétence nécessaire pour soumettre à la Chambre préliminaire une question qui n’a jamais relevé de sa compétence ».[58] Par conséquent, advenant que « la Chambre conclue qu’il y avait de graves carences dans la décision relative à la confirmation des charges qui rendraient les accusations erronées ou invalides, la mesure appropriée serait d’inviter l’Accusation à retirer ou amender les charges conformément à l’article 61(9) du Statut ».[59] La juge Ozaki a estimé que, si l’Accusation refusait d’obtempérer, le procès se poursuivrait ou, si la Chambre jugeait qu’une continuation du procès fondée sur de telles charges porterait atteinte aux droits fondamentaux de l’accusé de telle sorte que la tenue d’un procès équitable ne soit plus possible, « elle se baserait sur l’ensemble de ses obligations et pouvoirs en vertu de l’article 64(2) du Statut, et elle mettrait fin ou suspendrait les procédures ».[60] L’opinion concordante de la juge Van den WyngaertLa juge Van den Wyngaert a émis une opinion qui concordait parfaitement avec l’analyse de la décision relative aux droits et aux obligations de l’Accusation conformément à l’article 54(1)(a) du Statut,[61] mais en « aurait fait davantage » que ses collègues en ce qui concerne les « sérieuses questions visant à déterminer si l’Accusation avait mené une enquête exhaustive et détaillée dans l’affaire contre l’accusé avant la confirmation des charges ».[62] Plus spécifiquement, la juge Van den Wyngaert a soutenu que « les faits montrent que l’Accusation n’avait pas respecté ses obligations en vertu de l’article 54(1)(a) au moment de la confirmation des charges et qu’elle n’était pas du tout prête lorsque les procédures ont commencé devant cette chambre ».[63] La juge a fait remarquer que l’Accusation « n’avait présenté aucune justification convaincante ou suffisamment précise pour expliquer pourquoi autant de témoins dans cette affaire avaient seulement été interviewés pour la première fois après la confirmation des charges ».[64] En outre, la juge Van den Wyngaert a affirmé qu’« il n’y a pas d’excuse valable pour l’attitude négligente de l’Accusation quant à la vérification de la véracité des éléments de preuve ».[65] La juge a notamment estimé que, selon elle, les incidents relatifs au témoin 4 « démontraient clairement une attitude négligente face à la vérification d’éléments de preuve essentiels au dossier de l’Accusation » et révélaient « de graves problèmes dans le système d’évaluation des éléments de preuve de l’Accusation, ainsi qu’un sérieux manque de surveillance adéquate de la part du personnel de haut niveau de l’Accusation ».[66] En plus de conclure que l’Accusation n’avait pas mené des enquêtes adéquates dans le cadre de l’affaire contre l’accusé avant la confirmation des charges conformément à ses obligations en vertu de l’article 54(1)(a) du Statut, la juge Van den Wyngaert a affirmé que l’Accusation avait « manqué à ses obligations conformément à l’article 54(1)(c) du Statut de respecter pleinement les droits des personnes énoncés dans le présent Statut ».[67] Même si la juge Van den Wyngaert a soutenu que la solution appropriée au « non-respect de la part de l’Accusation de ses obligations en vertu de l’article 54(1)(a) » serait d’exclure une partie ou la totalité des éléments de preuve obtenus à la suite d’une « enquête excessive et injustifiée après la confirmation des charges », elle a convenu avec ses collègues qu’il y avait des circonstances atténuantes dans cette affaire qui « diminuaient la nécessité de recourir à une mesure aussi drastique ».[68] L’opinion individuelle et concordante du juge Eboe-OsujiLe juge Eboe-Osuji a émis une opinion qui concordait avec la décision de la Chambre de première instance de rejeter la demande de la Défense de soumettre l’affaire à la Chambre préliminaire ainsi qu’avec le rejet de la demande subsidiaire de mettre fin à l’affaire ou de la suspendre. Il a aussi convenu que la solution appropriée au présent litige incluait : « (i) de donner un avertissement à l’Accusation pour la manière dont elle a géré un des aspects de l’affaire—les soumissions relatives à un témoin de l’Accusation dont les éléments de preuve ont été utilisés lors des procédures de confirmation—manière qui a, à juste titre, suscité l’anxiété de la Défense ; et (ii) d’accorder plus de temps à la Défense afin qu’elle puisse se préparer en raison des enquêtes qui se sont déroulées après la confirmation ».[69] Le juge Eboe-Osuji a toutefois rédigé une opinion individuelle afin d’« aborder plus en détail » certains aspects de la décision avec laquelle il a manifesté son accord, ainsi que pour expliquer son « incapacité » à se joindre au raisonnement concernant les enquêtes qui se sont déroulées après la confirmation des charges ». [70] Au sujet des observations de la Défense soutenant que la Chambre préliminaire avait basé sa décision relative à la confirmation des charges sur des « éléments de preuve frauduleux », le juge Eboe-Osuji a conclu que « l’allégation de mauvaise foi et de fraude n’avait pas été prouvée dans la présente affaire » et il a affirmé que, notamment, cela « n’empêchait pas l’Accusation d’être sanctionnée pour ce qui pourrait effectivement être, dans d’autres circonstances, une grave erreur ».[71] Plus précisément, il a estimé que les préoccupations de la Défense visant à « déterminer dans quelle mesure l’Accusation avait rempli ses obligations de l’informer » étaient justifiées.[72] Même si le juge Eboe-Osuji a affirmé qu’il « en reste beaucoup à faire pour restaurer une pleine confiance envers les obligations de divulgation du Procureur », il a souligné qu’il était « encourageant que l’Accusation continue à révéler et admettre ses lacunes en matière de divulgation au fur et à mesure qu’elle les découvre ».[73] Le juge a également fait part de sa satisfaction envers l’Accusation pour avoir retiré de sa propre initiative les charges contre Muthaura « parce qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve ou ne prévoyait en avoir suffisamment ».[74] En ce qui concerne les violations présumées des droits de l’accusé, le juge Eboe-Osuji a mentionné qu’il n’était « pas convaincu qu’il a été prouvé que la non-soumission de l’affidavit d’asile en tant que tel constitue une violation des droits de l’accusé d’une manière ayant causé un préjudice important ou porté atteinte à l’intégrité du processus judiciaire ».[75] Au sujet de la demande de la Défense de soumettre la décision relative à la confirmation des charges à la Chambre préliminaire pour des raisons liées au témoin 4, le juge Eboe-Osuji a conclu que cela ne serait pas dans l’intérêt de la « politique publique » et que ce n’était pas non plus nécessaire aux fins d’éviter une « erreur judiciaire ».[76] Il a notamment estimé qu’« il serait désastreux pour l’administration de la justice dans cette Cour de permettre, en plus du processus d’appel autorisé, une telle pratique en vertu de laquelle les décisions de confirmation des charges pourraient être rouvertes parce qu’une des parties a trouvé des arguments juridiques qu’elle peut utiliser pour contester les décisions de la Chambre préliminaire, de la manière ici employée ».[77] En ce qui concerne la plainte formulée par la Défense sur l’ampleur des enquêtes qui se sont déroulées après la confirmation des charges, le juge Eboe-Osuji a conclu que le raisonnement de ses collègues était « largement équivalent à des bribes de principes qui diminueront possiblement la confiance de la Procureure lorsqu’elle devra mener des enquêtes après la confirmation des charges quand elle estime que cela est nécessaire ; cristallisant une éventuelle restriction sévère de mener des enquêtes après la confirmation des charges, en règle générale, et les permettant uniquement lors de « circonstances exceptionnelles ».[78] Sur le plan de la base juridique des conclusions de la Chambre, le juge Eboe-Osuji ne s‘est pas entendu avec ses collègues pour qui le droit applicable est dicté par la décision de la Chambre d’appel dans l’affaire contre Mbarushimana qui a soutenu que « l’enquête devrait être essentiellement terminée au stade de l’audience de confirmation des charges ».[79] Il a plutôt estimé que le droit applicable se trouvait dans l’affaire Lubanga, plus précisément dans le rejet par la Chambre d’appel de la décision de la Chambre préliminaire qui avait conclu que, sous réserve de circonstances exceptionnelles, l’enquête devait être terminée au moment où commence l’audience de confirmation des charges. Le juge Eboe-Osuji a mis l’accent sur le fait que dans cette affaire la Chambre d’appel avait précisé que « le Procureur doit être autorisé à poursuivre son enquête après l’audience de confirmation des charges, si cela s’avère nécessaire pour établir la vérité ».[80] Par conséquent, le juge Eboe-Osuji a conclu que la mesure appropriée « sera rarement d’interdire l’utilisation de nouveaux éléments de preuve résultant d’une enquête contestée, alors qu’aucun préjudice évident n’a été démontré envers la Défense qui ne serait être raisonnablement réparé par l’octroi de temps additionnel ».[81] |
|
1 L’article 64(4) prévoit que la Chambre de première instance « peut, si cela est nécessaire pour assurer son fonctionnement efficace et équitable, soumettre des questions préliminaires à la Chambre préliminaire ou, au besoin, à un autre juge disponible de la Section préliminaire ». |
|
|